Et Dieu donnera la victoire
restait sur la réserve, l’essentiel étant que les militaires et le peuple y crussent. Et là, le doute n’était plus permis.
Tours, Loches, juin 1429
Le dauphin et Jeanne restèrent à Tours une dizaine de jours.
L’inaction, ce désert sans perspectives immédiates, était pour elle un calvaire quotidien. Non qu’on la laissât en paix : les notables, les seigneurs des environs tenaient à l’avoir à leur table ; la population faisait son siège. Elle passait de réceptions en repas et en danseries auxquelles elle se gardait de participer. S’isoler lui était devenu difficile. Elle devait, pour une promenade à cheval, sortir avec des précautions de renard. Elle avait appris que ses frères tiraient parti de la réserve de leur soeur en se faisant payer par des tiers pour qu’ils puissent l’admirer de près. Sa colère les laissa indifférents et elle savait qu’elle renoncerait à sa menace de les renvoyer à leur foyer.
Un matin, Dunois la surprit alors qu’elle revenait d’une promenade solitaire à travers la campagne. Il l’accabla de reproches. Était-elle devenue folle ? Ignorait-elle que des bandes rôdaient dans les environs, que les Anglais auraient payé cher pour l’avoir à leur merci ? Elle montra l’épée de Fierbois qui pendait à sa ceinture et le talisman à l’image de saint Michel qu’elle portait sur sa poitrine. Il s’esclaffa.
– Ma pauvre enfant ! Tu serais bien incapable de te servir de cette arme, sauf pour chasser les ribaudes, qui d’ailleurs sont revenues. Quant à ton talisman, il n’impressionnerait pas des brigands auxquels on a promis une forte récompense. Promets-moi de te faire désormais accompagner.
– Je te le promets, dit-elle humblement.
Elle ajouta :
– Bâtard, je m’ennuie. Qu’attend-on pour quitter cette ville et partir pour Reims ?
Au tour de Dunois de manifester de l’embarras. Que répondre ? Le cousin Charles semblait, passé le plaisir de la rencontre avec son héroïne, revenu à son vice congénital : l’indolence. Il y était encouragé et maintenu par ses ministres ; ils souhaitaient que rien ne changeât, que le dauphin renonçât à poursuivre une campagne ruineuse pour le trésor – autant de subsides qui n’entraient pas dans leur bourse !
– Le dauphin... murmura Dunois, ton « gentil dauphin », a applaudi à la libération d’Orléans puis s’est rendormi. Aujourd’hui, il ne songe qu’à faire la fête, à parader dans les rues de Tours, à culbuter les putains que ses favoris glissent dans son lit. Madame Yolande elle-même ne parvient pas à l’arracher à sa torpeur.
Exaltée par la victoire, la reine de Sicile faisait feu des quatre fers.
Elle venait d’arriver à Tours en grand apparat, avec une jolie suite de dames montées sur des haquenées et une escorte angevine tirée à quatre épingles. Le cabinet de travail où elle avait retrouvé son gendre avait retenti de sa colère. On n’avait entendu que sa voix, qui était sonore ; en sa présence, le pauvre Charles filait doux et se bornait à attendre la fin de l’orage. Elle était ressortie de cet entretien, qui n’avait été qu’un monologue, le feu aux joues, certaine que cet éclat ne servirait de rien mais décidée à ne pas s’en tenir à cette algarade.
Avec Jeanne, elle changea de ton.
– Ah ! mon enfant... Quelle joie vous m’avez donnée ! Je me sentais revivre en apprenant vos faits d’armes.
– Ils étaient, madame, inspirés par Dieu et saint Michel. Ils me tenaient la main et me montraient la voie.
– Cessez de diminuer vos mérites. Mon gendre le fait pour vous. Chacun sait bien que sans votre présence et votre action Orléans serait aujourd’hui tombée, que les Anglais seraient en route pour La Rochelle et Bordeaux, qu’il ne me resterait qu’à trouver refuge dans mes domaines de Provence ou de Sicile.
Elle était, Madame Yolande, pareille à ces roses de Jéricho qui, fanées, refleurissent sous la pluie.
– Je sais, poursuivit-elle, que vous attendez avec impatience de repartir en campagne et de vous frayer la route de Reims. Vous pouvez compter sur moi pour hâter ce projet. Je harcèlerai Charles jusqu’à ce qu’il ait pris sa décision. Je vous promets de réussir sans tarder.
– Le dauphin, à ce qu’on m’a dit, soupira Jeanne, n’a plus l’argent nécessaire pour réunir une nouvelle armée.
– Je n’en crois rien. Il suffirait qu’il veille mieux à la gestion de son trésor,
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