Et Dieu donnera la victoire
pleuvaient, jetées à poignées, des femmes tendaient leurs nourrissons vers la Pucelle, des gosses se jetaient dans les jambes de son cheval malgré les coups de baguette des sergents.
Dans l’appartement du château qu’on lui avait affecté, elle eut la surprise de trouver, assis dans une embrasure de fenêtre, un personnage qu’elle reconnut sans hésiter et devant lequel elle s’inclina sèchement. À Poitiers, Pierre de Versailles, moine de Saint-Denis, l’avait soumise à un interrogatoire impitoyable. Elle se dit qu’il la suivait comme pour la confondre à la suite d’un acte répréhensible.
Il se leva lentement pour s’avancer vers elle. Sans répondre à son salut, sans un mot destiné à expliquer sa présence, il lui lança :
– Jeanne, je suis fort mécontent de toi ! Tu sembles prendre plaisir à te voir aduler par cette populace. J’ai observé tout à l’heure, à la porte des Cordeliers, cette foule délirante. Cet enthousiasme ne te paraît-il pas proche de l’idolâtrie ?
Jeanne serra les poings, retint en elle un mouvement de colère.
– J’avoue humblement, dit-elle, que je suis sensible à ces témoignages d’affection et de reconnaissance, mais Dieu, saint Michel et tous mes frères du Paradis me gardent d’en tirer la moindre vanité. Si ma présence peut apporter quelque réconfort aux pauvres gens, pourquoi devrais-je les en priver ?
– Tu parles de vanité, Jeanne... Ce sentiment empoisonné commence à envahir ton coeur, bien que tu t’en défendes. Souviens-toi dorénavant de ces paroles de l’Ecclésiaste : Vanitas vanitatum, et omnia vanitas ...
Au cours du souper, elle s’entretint avec Dunois de cette visite. Il lui dit, pour la rassurer :
– Tu as cloué le bec à ce vieux corbeau. Vaniteuse, toi, ma Jeanne...
L’aisance de la Pucelle dans la conversation, ses reparties inspirées par le simple bon sens laissaient pantois les discoureurs. En quelques mois, elle avait changé, et en bien. Dunois n’avait pas oublié le spectacle de cette pauvre fille aux vêtements poussiéreux, à la démarche pesante, lors de son arrivée à Chinon. Elle bégayait d’émotion, rougissait et perdait son contrôle au moindre propos qu’on lui adressait. Depuis, peu à peu, elle avait fait abandon de sa timidité, elle avait appris à s’exprimer, à ne plus redouter les piques, à répondre avec assurance aux critiques et aux doutes. Pour faire bonne figure dans la société policée, il ne lui manquait que d’avoir appris à lire et à écrire, d’avoir acquis quelque notion sur le monde et les hommes qui le gouvernaient. Elle avait en Pasquerel un secrétaire fidèle et complaisant pour pallier ses carences.
– Ce n’est pas seulement l’amour que me voue le peuple qui irritait ce vieux moine, dit-elle, mais quelques autres formes de dévotion : ces médailles à mon image, ces étendards où l’on a dessiné mon portrait, ces peintures d’église qui me représentent à cheval... Mais j’affirme que cela ne me fait pas chavirer la tête. Elle est solide, tu le sais, Bâtard !
Sa modestie devait être de nouveau mise à rude épreuve le lendemain, lors de la messe dite en la collégiale de Saint-Ours, lorsque le prêtre, sans qu’elle en fût prévenue, déclama son Oraison de la Pucelle pour le royaume de France , qui se terminait par ces mots qui la troublèrent : « Tu es, Jeanne, la voie, la vérité et la vie ! »
Ce n’est que le lendemain, dans la cour du château, sous un tilleul, que le dauphin daigna la recevoir. Il était accompagné par un garçonnet qui s’agrippait à sa robe et fixait Jeanne avec une intense curiosité.
– Mon fils Louis, dit Charles. Il vient d’avoir six ans. Un bel enfant, n’est-il pas vrai ? Louis, embrasse notre Jeanne et fais-lui ton compliment.
De ce que bredouilla l’enfant, elle ne comprit pas un traître mot. Il laissa des traces de morve sur sa joue. Le bel enfant était aussi maigrelet et disgracieux que sa mère, la dauphine Marie, qui se tenait timidement derrière son époux rayonnant, comme pour éviter de se faire remarquer.
Charles se détacha de sa famille pour entraîner Jeanne en la tenant par la main jusqu’à la balustrade dominant la plaine et les méandres de l’Indre.
– J’ai reçu, dit-il, des courriers te concernant. Les capitouls de Toulouse te demandent conseil sur la mutation des monnaies... Des magistrats souhaitent ton avis sur des problèmes de procédure fort
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