Eugénie et l'enfant retrouvé
Les médicaments pourront limiter cet inconfort, dit Thalie. Je me ferai un devoir de passer vous voir régulièrement pour m’en assurer.
— Cet inconfort... fit-elle en ricanant.
Le mot paraissait si anodin. En réalité, elle parlait d’une noyade étalée sur des semaines, des mois peut-être.
— Je sais combien tout cela vous bouleverse. Je n’ai pas de solution miracle. Tout ce que je vous propose, c’est d’essayer de rendre les choses supportables.
— Et quand ce ne le sera plus ?
La question contenait une demande implicite. Thalie refusa de s’engager sur ce terrain.
— Je ferai alors mon possible pour rendre les choses de nouveau tolérables.
Les deux femmes se turent. Puis, le médecin baissa les yeux et consulta le dossier.
— Vous avez évoqué une respiration plus difficile..
Vous pouvez préciser d’autres symptômes ?
— La fatigue, un point de côté si je fais le moindre effort.
— Nous avons déjà convenu que le sentiment d’épuisement correspond à votre état normal. Je ne pense pas que les lésions observées sur votre foie puissent entraîner une douleur au flanc. Cela doit tenir à votre mauvaise forme physique. Aucun saignement?
— Non, rien de ce côté-là. Pour le myome, vous m’avez guérie !
De nouveau, un ricanement cynique accompagna la répartie.
— Si vous voulez, je vais vous faire aussi un examen de routine, dit le médecin.
— Vous voulez dire écouter mon cœur et me regarder entre les jambes ? Non merci, j’ai eu ma part de mauvaises nouvelles aujourd’hui, alors vous me pardonnerez de ne pas partager avec vous ce moment d’intimité. Je préfère vous laisser retourner à toutes ces jeunes mères.
— Tout de même, je dois documenter votre état.
— Vous passerez à la maison dans quelques jours...
Quand j’aurai digéré tout cela.
Thalie ferma le dossier après y avoir glissé les radiographies.
Lorsqu’elle se leva pour conduire sa patiente à la porte, celle-ci intervint :
— Docteur, un instant encore. Je veux vous demander de garder le secret sur mon état.
— Mais cela va de soi. Jamais je ne révélerai des informations sur la situation de l’une de mes malades.
— Cette généralisation inclut-elle aussi mon mari ?
Thalie comprit immédiatement que Fernand avait évoqué sa visite rue Scott avec sa femme.
— Parfois, il convient de mettre les plus proches parents au courant de la situation.
Son interlocutrice serra les lèvres, plissa le front.
— Vous savez peut-être que dans mon ménage, nous cultivons les petits secrets. Je vous demande de ne rien lui confier.
— Vous ne pouvez pas dissimuler votre état.
— Oh ! Je n’en doute pas, bientôt tout le monde saura, je suppose. Mais je tiens à mettre mes proches au courant de la situation moi-même, quand je serai prête.
— Entendu, je ne dirai rien à votre mari.
Eugénie se mordit la lèvre inférieure, puis glissa dans un murmure :
— Pas seulement à Fernand. Ne révélez la gravité de mon état à personne. Les rumeurs circulent parfois très vite.
Elle hésita, puis se résolut à ne pas prononcer le nom d’Élise.
— Je vous laisse maintenant à ces jeunes mères, répéta-t-elle en se levant.
Le dépit marquait sa voix. La vie, et toutes ses expressions, lui tapaient
sur
les
nerfs,
maintenant.
Debout,
les
deux femmes restaient immobiles. Encore une fois, Thalie se demanda si elle devait lui ouvrir les bras. Eugénie mit fin à son dilemme en tendant la main.
— Dans les circonstances, je me vois mal vous remercier pour cette consultation. Alors, bonne fin de journée.
— Je comprends. Je passerai vous voir vendredi prochain.
— Non, réflexion faite, je passerai au cabinet du docteur Caron.
Devant les yeux étonnés de son interlocutrice, elle précisa :
— Une visite à la maison attirerait l’attention de mon époux sur mon état. Je ne suis pas prête. Puis, si je veux profiter un peu du printemps, mieux vaut ne pas rater cette occasion de marcher dehors. Quelque chose me dit que cela ne se présentera pas l’an prochain.
Thalie hocha la tête, abandonnant la main de la patiente pour ouvrir la porte.
*****
Douter, ce n’était pas savoir. Se dire tous les jours « Oui, c’est ça, le cancer me ronge le corps », ce n’était pas comme l’entendre de la bouche d’une autre. Pendant le repas, Eugénie garda le silence. Son regard se portait sur ses deux fils. Comme leur père, ceux-ci mangeaient de bon
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