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Eugénie et l'enfant retrouvé

Eugénie et l'enfant retrouvé

Titel: Eugénie et l'enfant retrouvé Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Jean-Pierre Charland
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appétit, tout en commentant leur journée à l’école. Même si les décès d’enfants ne se révélaient pas si rares, eux ne se questionnaient pas sur le temps à leur disposition. Et s’ils le faisaient, ils évoquaient de nombreuses dizaines d’années.
    Même Fernand ne devait pas se troubler avec ces considérations. Il animait la conversation, garantissait à chacun des garçons son temps de parole, corrigeait leur langage sans en avoir l’air. Avec régularité, il se tournait vers elle pour demander :
    — Et toi, qu’en penses-tu ?
    Fidèle à son attitude des derniers mois, la mère répondait brièvement, mais toujours avec un sourire bienveillant. Ce soir, le sourire était toutefois un peu contraint, et souvent ses pensées la conduisaient ailleurs que dans cette salle à manger un peu austère.
    Après avoir quitté la table, l’époux demanda, dans le couloir :
    — Aujourd’hui, tu avais bien des examens au Jeffrey Haie ?
    Comme il travaillait à la maison, impossible de lui dissimuler ses allées et venues, tout comme lui ne pouvait lui cacher les siennes.
    — Oui. J’y ai rencontré le docteur Picard.
    — Tu veux me dire comment tu te portes ?
    — Oh ! En réalité, il n’y a rien à dire. La petite bête qui me rongeait l’été dernier paraît assoupie. Peut-être les cancers hibernent-ils comme les ours.
    — J’en suis bien heureux. Cette menace deviendra sans doute un mauvais souvenir.
    La femme lut une entière sincérité sur le visage de son interlocuteur.
    — Je veux bien en rêver, mais je ne peux ignorer qu’au printemps, les bêtes sortent de leur torpeur.
    Même dans ces circonstances, tromper son époux sur sa véritable situation lui demeurait facile.
    — Tout de même, répondit Fernand, c’est une bonne nouvelle. Veux-tu célébrer avec un petit sherry? Je vais te le servir.
    Des yeux, il désignait le salon, de l’autre côté du couloir.
    — Je te remercie, mais non, je vais monter tout de suite.
    La journée a été éprouvante. Bonne nuit.

    — ... Bonne nuit.
    L’homme la regarda monter à pas lents, une main sur la rampe pour s’aider. Bien sûr, l’angoisse de l’examen pouvait épuiser quiconque, pensa-t-il.

    *****
    Après avoir pénétré dans sa chambre, en réalité celle que son époux lui abandonnait depuis l’automne dernier, Eugénie s’appuya contre le bois de la porte pour respirer longuement.
    Maintenant qu’elle était seule, la réalité lui revenait avec toute sa cruauté.
    Elle s’avança au milieu de la pièce et leva les bras pour défaire le bouton de la robe à l’arrière de son cou. En se tortillant, elle parvint à en détacher deux autres et à se glisser hors du vêtement. Il atterrit en corolle sur le plancher. Les souliers et les bas suivirent le même chemin. Après avoir terminé la vaisselle, Gloria viendrait tout ramasser.
    Puis elle rejoignit son lit en camisole et en culotte, ramena les couvertures au-dessus de la tête.
    — Peut-être les cancers hibernent-ils... grinça une voix dans la pièce.
    Eugénie le savait bien, l’ombre de la mort ne la lâcherait plus, maintenant. Ce serait sa dernière compagne, la plus fidèle.
    — Quelle mauvaise comédienne tu fais, continua la Faucheuse. Tu finiras par mourir de peur, pas de ta maladie.
    — Et lui, quel genre de comédien fait-il? «Veux-tu célébrer... ? »
    La malade avait imité la voix de Fernand sur les derniers mots.
    — Demain, il s’éloignera tout l’après-midi pour baiser une salope, pesta-t-elle.
    — Tu préférerais le voir venir dans ton lit ?
    L’ombre eut un ricanement bref, comme si elle contemplait déjà la scène grotesque, un corps adipeux s’agitant et grognant sur un autre, pâle et maigre.
    — Va-t’en, laisse-moi tranquille.
    Eugénie plaça ses mains sur ses oreilles, puis elle se recroquevilla en position fœtale. Si la Faucheuse se tint coite après cela, elle demeura tapie dans un coin de la pièce.

    Chapitre 23

    Pendant les jours suivants, les symptômes ne s’aggravèrent pas. Aux yeux de la maisonnée, Eugénie montrait des traits fatigués, elle n’avait pas repris le poids perdu à la suite de l’opération, mais son état paraissait stable. En entrant dans la cuisine habillée pour sortir, elle demanda :
    — As-tu bien demandé à un taxi de venir me chercher, Gloria ?
    — Oui, bien sûr, madame, voilà dix bonnes minutes.
    Voulez-vous que j’appelle de nouveau?
    — Non, je suppose que le chauffeur

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