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Eugénie et l'enfant retrouvé

Eugénie et l'enfant retrouvé

Titel: Eugénie et l'enfant retrouvé Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Jean-Pierre Charland
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expérience de ce genre de choses. Qu’en penses-tu ?
    — La même chose que toi. Eugénie paraît s’étioler.
    Le mot décrivait bien la situation. Cela rappelait le cinéma, un fondu sur blanc.
    — Ce matin, elle m’a annoncé ne pas être en mesure de venir à la campagne cet été, tout en m’offrant de partir seul avec les enfants et les domestiques.
    — Tu le feras ?
    — Non, j’ai plaidé la nécessité de faire du notariat.
    Elise se figea en tenant sa fourchette, soudainement sans appétit, même un peu inquiète.
    — Bien sûr, c’est un prétexte : je pourrais fermer mon étude, quitte à m’occuper depuis Saint-Michel de quelques questions urgentes. En réalité, je ne survivrais pas deux mois sans te voir.
    Leurs mains se rejoignirent sur la table, leurs yeux se dirent mille gentillesses. Elle formula bientôt d’une voix hésitante :
    — Tout à l’heure, quand tu as évoqué sa nouvelle attitude, je me suis demandé si tu entendais aussi... te rapprocher d’elle.
    — Mes sentiments pour elle évoluent. Mais ce rapprochement, car il y en a un, ne te menace en rien. Je suis passé de la haine à la compassion. Elle a ton âge, mais elle n’a jamais été vraiment heureuse. Ni avec sa mère malade, ni dans la maison où se trouvait Elisabeth, ni chez moi. Comprendre la pauvreté de cette existence, ressentir de la pitié et souhaiter adoucir les derniers mois d’Eugénie, ce n’est pas de l’amour.
    — Cette humanité chez toi te rend si aimable...
    De nouveau, chacun se plongea dans le regard de l’autre.
    Puis ils consentirent à s’intéresser enfin au repas.
    Lorsqu’il se retira dans le salon avec un verre de vin à la main, l’homme dit encore :

    — J’ai une autre raison de vouloir rester dans mon étude, cet été. Mon nouvel employé serait très déçu si je partais.
    — Tu as un nouveau stagiaire ?
    La visite de Jacques Létourneau datait d’un mois environ, mais le notaire abordait le sujet avec elle pour la première fois. — Oui, en quelque sorte.
    Sa compagne arqua les sourcils, incertaine du sens à donner à ces paroles.
    — Plus exactement, je fais une obole. Donner simplement en cadeau une part du coût des droits de scolarité de ce garçon aurait été tout aussi rentable pour moi, et beaucoup plus pour lui. Au lieu de perdre des semaines dans mon étude, il pourrait trouver une rémunération conséquente ailleurs...
    — Si tu te crois plus explicite, ce n’est pas du tout le cas, dit sa compagne avec le sourire.
    L’homme se perdit dans la contemplation de son verre de vin.
    — Dans ce cas, je vais commencer au tout début de cette histoire, si tu me promets de ne jamais en répéter le moindre mot. Intriguée, Elise donna son assentiment d’un signe de la tête. — Tu sais qu’Eugénie a eu un enfant avant notre mariage.
    — Je sais sans le savoir, ces choses-là ne se disent pas à voix haute. Mais quand une jeune fille quitte sa famille pendant quelques mois, pour revenir ensuite déprimée...
    — Elle a eu un garçon, il y a exactement vingt ans. Son père, Thomas, s’est arrangé pour que l’un de ses employés l’adopte. Il a payé pour son entretien, et ensuite Edouard a continué jusqu’en 1927.

    — Doux Jésus...
    Bouche bée, sa compagne ouvrait sur lui ses grands yeux bruns.
    — Tu as déjà rencontré le père? demanda Fernand.
    — ... Oui, je crois. A l’été 1908, elle était très entichée d’un officier anglais.
    — Elle venait tout juste de me refuser la permission de la visiter. Parle-moi de lui.
    — Fernand, tu vas te faire du mal.
    Les allusions à ses amours déçues rendaient toujours son amant bien mélancolique.
    — Ne crains rien. Peux-tu me le décrire ?
    — Un grand blond, mince, arrogant. Très beau.
    — Tout pour lui plaire. Cela correspond aussi au portrait du fils. Ce sera lui, mon stagiaire inutile.
    — ... Mais pourquoi donc ?
    La question le laissa un moment silencieux. Lui-même comprenait mal sa décision.
    — Le garçon a débarqué dans mon bureau un soir, peu après la mort de son père adoptif, en clamant son droit de connaître ses origines. Il avait dans la poche une de mes lettres. Tu comprends, l’étude acheminait les sommes promises au moment de l’adoption. Les gens ont la sottise de laisser traîner de tels documents.
    — Tu crois qu’il se doute de l’identité de ses parents ?
    La question hantait aussi le notaire. Le désir de Létourneau de travailler dans son

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