Eugénie et l'enfant retrouvé

jupe.
    — Tathalie, moi je n’ai rien à boire, déclara le petit Alfred.
    — Ah ! Mais c’est vrai. Tout à l’heure, j’ai vu des Coca-Cola dans la glacière. Qu’en penses-tu ?
    — Oh, oui !
    Ses deux cousins se tenaient derrière lui, trop timides pour formuler la même demande mais résolus à profiter eux aussi de l’aubaine.
    — Si vous voulez bien m’excuser, mon devoir de tante gâteau m’appelle.
    Visiblement, ce rôle ne la rebutait guère. Chacun des garçons reçut sa dose de liquide sucré et une abondance d’avertissements de ne rien renverser. Un témoin aurait pu lui faire remarquer qu’elle répétait à leur intention les « Fais attention de ne rien renverser» de Gertrude. Elle avait la prétention de moins en avoir besoin que des enfants âgés de trois à sept ans, du haut de ses vingt-neuf ans tout juste.
    A son retour dans le salon, elle entendit Paul Dubuc demander à David O’Neill :
    — Les Price finiront-ils par obtenir le droit de construire leur petit gratte-ciel ?
    — Si les personnes opposées à la modernité cessent de s’entêter, nous pourrons nous mettre au travail cet été.
    La société papetière voulait se donner des bureaux dignes de sa grande prospérité. Bien sûr, ce gratte-ciel ne se comparerait pas à ceux de Chicago ou New York. Tout de même, les amoureux du visage historique de la vieille capitale voyaient ce doigt de poutrelles et de pierres dirigé vers le ciel comme un vilain bouton dans un beau visage.
    — Je ne pense pas être plus réfractaire au progrès qu’une autre, intervint Marie, mais avoir ce grand machin juste sous mes fenêtres...
    — Mais belle-maman, je vous ai montré les plans. Vous verrez de magnifiques portes en laiton.
    — David sera responsable des travaux, souligna Amélie.
    Ce sera très bien, j’en suis sûre.
    Pour elle, l’identité du chef de chantier devait lever toutes les hésitations. David esquissa une caresse dans ses cheveux, leurs regards se croisèrent. Tous les deux demeuraient toujours
    aussi
    entichés
    l’un
    de
    l’autre.
    L’ingénieur
    gardait des cheveux roux un peu ébouriffés, mais les chemises et les vestons usés à la trame s’avéraient chose du passé. Il avait remporté son pari sur la vie.
    — Maman, dans ta publicité, intervint Mathieu, tu pourras mettre «en face de l’édifice Price». Ce sera mieux qu’« à côté du magasin Simon’s ».
    — Je n’ai jamais publié une annonce comme ça, protesta-t-elle.
    La marchande disait vrai, mais toutes les clientes utilisaient ce point
    de
    repère.
    La
    conversation
    porta
    sur
    le
    commerce, les carrières, les enfants à naître comme sur ceux qui s’activaient déjà dans l’appartement. Le futur apparaissait sans nuages.

    *****
    Quand tout le monde fut parti, Thalie s’attarda pour aider sa belle-sœur à remettre de l’ordre dans la maison.
    — Tu peux rentrer, tu sais, remarqua Flavie. Mon état n’exige pas encore que je me ménage.
    Juste à ce moment, un «Maman» strident parvint de la cour arrière, suivi de pleurs.
    — Je pense que celui-là devrait faire une petite sieste, continua la mère. L’après-midi a été mouvementé.
    — Va avec lui. Même la meilleure marraine ne viendrait pas à bout de tels sanglots.
    Un instant plus tard, placé sur la hanche maternelle, le gamin saluait sa Tathalie tout en laissant de grosses larmes couler sur ses joues. Sur le chemin de la chambre d’enfant, l’hôtesse prit le temps de dire un mot à son mari. Très vite après cela, l’homme entra dans la cuisine en murmurant :
    — Laisser sa petite sœur ranger seule notre désordre ne se fait pas, semble-t-il.
    — Ta femme a bien raison, dit-elle, moqueuse.
    — En plus, nous ne nous sommes pas parlé en tête-à-tête depuis un moment.
    Un sourire passa sur les lèvres de Thalie. Elle devinait sans mal la suite de la conversation.
    — Tu as changé, continua-t-il. Il se passe quelque chose dans ta vie.
    — Je suis contente de ne pas entendre une remarque sur la vieille fille devenue moins revêche.
    — Tu sembles plus heureuse, tout simplement.
    La jeune femme fut touchée plus qu’elle ne le voulait par ces mots. Elle s’accorda le temps de laver la table à grands gestes avant de dire dans un souffle :
    — Il y a quelqu’un dans ma vie.
    — C’est nouveau ?

    — Depuis l’automne dernier.
    Mathieu joua la surprise, puis reprit après une pause :
    — Tout ce temps sans nous le montrer. Si je te