Eugénie et l'enfant retrouvé

découvrir un trésor...
    Le scoutisme continuait de séduire le cadet de la famille.
    Il envisageait maintenant avec enthousiasme le projet de passer la semaine suivante dans un petit village de tentes dressées sur une terre en friche à Sainte-Brigitte-de-Laval.

    — Madame votre mère souhaite se joindre à nous. Elle sera un peu en retard.
    Depuis quelques semaines, elle s’était faite rare, préférant partager ses repas avec sa vieille domestique. La chaleur de juillet devait mieux convenir à ses articulations ce jour-là.
    Un instant plus tard, elle apparut dans l’embrasure de la porte, appuyée sur une canne.
    — Je vais t’aider, maman, dit Fernand en se levant.
    Il commença par tirer la chaise, puis la poussa sous elle.
    L’aïeule plaça sa canne contre le dossier, pour l’avoir à portée de main.
    — Tu n’as pas encore eu l’occasion de rencontrer mon nouveau stagiaire, je pense, dit le notaire en reprenant sa place.
    Jacques se demanda s’il devait se lever pour lui tendre la main. Il murmura d’une voix hésitante :
    — Madame, je suis enchanté...
    — Oh ! Moi aussi, je vous assure. Je n’ai pas souvent l’occasion de voir un aussi beau jeune homme que vous.
    Le garçon resta un peu interloqué par sa candeur.
    — Vos parents vous ont donné un nom, je suppose.
    — Jacques... Jacques Létourneau.
    — Le nom d’un vilain oiseau noir pour un enfant aux jolis cheveux blonds. La vie a toujours de ces caprices...
    Vous voyez, j’ai épousé un Dupire, et pourtant il m’a toujours donné le meilleur.
    En prenant sa cuillère, la vieille dame gardait sur lui ses yeux bleus acérés, au point de le rendre mal à l’aise. Elle qui ne se déplaçait guère aimait les rares occasions de se frotter à des étrangers. Comme elle mangeait peu, un repas lui laissait le loisir de satisfaire sa curiosité.
    — Ce monsieur Létourneau, votre père, que fait-il dans la vie ?
    — Il est mort... madame.
    — Ah ! Voilà qui est bien regrettable. Il y a longtemps ?
    — Un peu moins d’un an.
    La vieille dame hocha la tête, comme si elle se désolait encore, à son âge, de découvrir que ses semblables, tout comme elle, étaient mortels.
    — Mais il a bien fait quelque chose, avant?
    — Il dirigeait les ateliers de confection de Thomas Picard.
    — Ah ! Voilà pourquoi votre nom me semblait familier.
    Je l’ai déjà entendu prononcer par ce voisin. C’est curieux, n’est-ce pas ? À Québec, devant n’importe quel étranger, nous découvrons très vite des liens. Entre vous et moi, Thomas représente ce lien. Toutes nos histoires personnelles se recoupent.
    Un instant, Fernand craignit que dans sa candeur, sa mère n’évoque l’adoption. Son mari lui avait raconté toute l’histoire, bien avant qu’Eugénie ne vienne habiter la maison. Sentant son inquiétude, la vieille dame lui adressa un sourire entendu.
    — Vous envisagez de faire du notariat ? Cela me surprend un peu, pour quelqu’un avec votre allure. Les jeunes gens comme vous aiment d’habitude se montrer à la cour, se permettre des envolées oratoires pour quêter l’admiration des spectateurs.
    Au moins, elle n’avait pas dit des spectatrices. Si le garçon saisit son ironie, il n’en laissa rien paraître.
    — Je ne connais rien des professions. Là, je me familiarise avec le notariat. Il me faudra peut-être chercher dans un cabinet d’avocat l’an prochain. Là où j’ai grandi, on n’a pas l’occasion de se faire une idée.

    — Heureusement, vous n’avez pas commencé cette exploration avec le travail d’arpenteur. Ça me donne la chance de vous poser toutes ces questions.
    La remarque s’accompagna d’un sourire qui accentua les plis à la commissure des yeux de l’aïeule.
    — A mon âge, je ne peux plus aller au-devant de nouvelles personnes. Je livre donc celles qui se mettent à ma portée par hasard à un interrogatoire en règle.
    — ... Cela me fera toujours plaisir de converser avec vous, déclara son interlocuteur.
    — Ah ! Comme vous êtes charmant... Mais bien imprudent, car je pourrais vous prendre au mot et vous faire perdre votre temps.
    Par la suite, madame Dupire s’intéressa à la nourriture devant elle. Depuis le bout de la table, discrètement, elle porta les yeux en alternance sur Jacques et Eugénie. Le notaire fit de son mieux pour alimenter la conversation.

    *****
    Pendant le reste du repas, le stagiaire put se taire. Il s’en réjouit, soulever l’intérêt de