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Eugénie et l'enfant retrouvé

Eugénie et l'enfant retrouvé

Titel: Eugénie et l'enfant retrouvé Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Jean-Pierre Charland
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aujourd’hui pour le gros homme que je suis.
    Devant son frère, trois jours plus tôt, elle disait encore tout son dégoût, sa haine même. Elle ne comprenait même pas son propre changement d’attitude. Fernand avait maintenant stationné sa voiture près de la gare du Palais. Le va-et-vient des voyageurs animait tout le quartier. Il se tenait tourné vers elle, un sourire ironique sur le visage.
    — J’ai changé, je t’assure, plaida-t-elle.
    — Alors, une dernière information pour ton directeur spirituel. Un homme ne revient pas dans le lit de sa femme pour lui permettre de réaliser son salut. Cela manque un peu de romantisme. Et tu sais, avec ce que tu m’as fait endurer, je ne banderais pas, même si tu exécutais la danse des sept voiles, ou même si tu te mettais à genoux pour me le demander.
    Elle le regardait, un peu interdite. Fernand consulta sa montre, puis dit en ouvrant la portière de la voiture :
    — Bon, toi tu as un train à prendre. Comme je suis le meilleur gars du monde, je vais porter ta valise jusque sur le quai.
    Un instant plus tard, il se tenait de l’autre côté de la voiture, attendant qu’elle descende. Il lui prit son bagage des mains et la guida dans le grand édifice en pierre grise.
    Quand ils arrivèrent près des rails, après l’achat du billet, l’homme conclut leur conversation :
    — Tu sais, je ne suis pas un imbécile. Je te semble heureux sans toi, alors tu cherches un moyen de gâcher ma vie de nouveau.
    Mais
    je
    suis
    immunisé
    maintenant,
    avec
    le
    meilleur vaccin. Je ne ressens plus que de la pitié à ton égard.
    — Tu es cruel. Je reconnais que j’ai eu mes torts, mais toi... — Même Jeanne est infiniment plus heureuse que toi.
    Le savais-tu, elle s’est mariée l’an dernier? Elle m’a envoyé un mot pour me le dire.
    La locomotive se trouvait déjà près du quai. Un employé cria «All aboard». Dans cette ville française, l’anglais dominait encore les transports ferroviaires.
    — Une fois à Saint-Michel... commença-t-elle.
    — Il y a toujours deux ou trois cultivateurs à la gare à l’heure d’arrivée des trains, pour prendre des passagers. L’un d’eux te conduira à la maison pour une misère.
    Sur ces mots, il l’abandonna sur le quai.

    *****
    La famille Caron passait somme toute peu de soirées réunie. Le père recevait souvent des clients jusqu’à dix heures du soir, tandis que sa fille restait derrière le bureau pour accueillir les malades et encaisser le prix des consultations.
    Ce
    mardi,
    Chouinard
    et
    Thalie
    Picard
    assuraient
    la permanence, et Estelle occupait la réception. Cela permettait à tous les autres de se rassembler au salon, pour profiter de la musique de la radio. Les conversations à voix basse s’interrompaient souvent, pour que chacun puisse mieux goûter de ce moment de repos.

    A la fin de la soirée, Estelle vint rejoindre ses proches.
    Sortie du couvent un an plus tôt, elle traversait l’étrange purgatoire des jeunes filles, dans l’attente du bon parti.
    Celui-là ne paraissait guère pressé de se présenter.
    — Alors, ma grande, demanda le grand-père, tout s’est bien passé ?
    — Sous ma poigne de fer, les deux médecins se sont montrés très dociles.
    Elle disait cela avec le sourire, en prenant place dans un fauteuil à côté de lui. Il s’agissait d’une belle jeune fille brune, plus grande que sa mère, plus mince aussi.
    — Je suis heureux de l’apprendre. Le premier des deux se montre désagréable parfois.
    — Moi, je préférerais qu’il essaie un peu moins de se montrer agréable avec moi.
    Le visage du vieux médecin exprima la surprise.
    — Tu sais, s’il t’embête, je peux lui parler.
    — Ce ne sera pas nécessaire.
    Elle montrait une grande assurance, celle d’une fillette devenue raisonnable très jeune, à la mort de son père.
    — Ma petite sœur n’a pas peur des vieux messieurs, commenta Pierre en quittant son siège pour aller lui faire la bise.
    Le garçon aussi affichait la taille et la carrure d’un adulte.
    — Ce médecin a à peine trente ans, commenta Elise.
    — C’est ce que je dis, un vieux monsieur.
    Si la remarque se révélait un peu rude, son sourire restait affectueux.
    — Mais toi, maman, et aussi mes grands-parents, vous appartenez à un monde à part. Le temps ne vous touche pas.
    Elle tendit la joue pour recevoir ses lèvres. Le jeune homme se pencha sur le vieux couple pour lui présenter ses souhaits de bonne

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