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Eugénie et l'enfant retrouvé

Eugénie et l'enfant retrouvé

Titel: Eugénie et l'enfant retrouvé Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Jean-Pierre Charland
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le cas, car le bébé se reculait en riant d’avance du retour des doigts contre ses flancs.
    —- Vous deux, intervint la mère, pouvez-vous vous parler directement et ne pas trop perturber ce garçon ? Quand il commencera l’école, il croira que les conversations doivent toujours passer par un tiers.
    Personne ne sembla prendre au sérieux l’avertissement, pas même son auteur.
    — Ton papa ne comprend rien, continua Thalie de sa voix enjouée. Le problème, ce n’est pas moi, mais les hommes. Si jamais j’en rencontre un avec de tout petits cheveux très doux, seulement trois dents dans la bouche et de la bave sur le menton, je vais lui chatouiller la bedaine comme à toi, avec ce sourire que Mathieu trouve si séduisant.
    — D’abord, Alfred a plus de trois dents, dit Flavie en posant une assiette sur la table devant sa belle-sœur. Ensuite, des messieurs comme tu as décrit, il y en a tous les jours dans le cabinet du docteur Caron. Je le sais, j’en ai vu lors de chacune de mes visites. Alors, si tu cherches un parti de soixante-dix-neuf ans, libre à toi.
    Avec l’autorité que lui conférait la maternité, elle récupéra ensuite son enfant et le posa sur sa hanche en disant encore :
    — Ce que Mathieu veut dire, c’est combien il te trouve charmante. Je suis d’accord avec lui. Si tu le montres un peu, quelqu’un le remarquera.
    — Bon, me voilà rappelée à l’ordre. Demain, j’essaierai de me montrer moins casse-pieds avec le vendeur de la Quebec Power.
    — Il en vaut la peine ?

    La visiteuse essaya de se remémorer l’employé, pour se rendre compte que son image se confondait avec celle des deux autres.
    — En réalité, je ne m’en souviens pas vraiment.
    — Et cette radio ? demanda Mathieu.
    — Magnifique. Un peu encombrante, mais avec une sonorité de salle de concert.
    Elle avait rabroué le vendeur pour avoir dit la même chose. Une petite culpabilité la toucha. Elle devenait vraiment irascible. A jouer ainsi les vieilles filles, elle le resterait sûrement. De l’autre côté de la table, Flavie regardait son époux avec un pli soucieux au milieu du front.
    — Nous nous sommes contentés d’un modèle assez modeste, dit-il. Avec l’hypothèque et l’emprunt pour la part du magasin, nous demeurons prudents.
    La maîtresse de la maison retrouva son sourire. Elle craignait toujours que son mari ne s’aventure dans des dépenses excessives.
    — Que se passe-t-il avec le loyer d’en haut ? demanda Thalie.
    —Je l’ai loué dix pour cent plus cher. Les prix montent sans cesse.
    — Si tu continues d’augmenter tes loyers, bientôt je penserai avoir fait une économie en allant au Château Saint-Louis. Tu sais que maman m’imaginait à l’étage ?
    — Je sais. Elle m’a demandé de te faire un bon prix.
    La visiteuse se pencha vers Alfred pour dire, en reprenant la voix
    haut
    perchée
    avec
    laquelle
    elle
    s’adressait
    habituellement à lui :
    —Je te souhaite d’échapper à l’amour excessif de tes parents quand tu auras mon âge.
    La jeune femme regarda ensuite la mère pour quémander :

    — Tu veux me le redonner ? Il me manque déjà.
    — Quand tu auras fini ton assiette. Tu ne me parais pas manger beaucoup.
    Visiblement, les personnes seules s’exposaient à attirer l’intérêt bienveillant de tous leurs proches. Cela suffisait à la convaincre d’offrir désormais un sourire béat à tous les hommes croisés dans la rue, qu’ils aient trois dents ou non.

    *****
    Le lendemain, Thalie reprit la direction de la rue marchande de la Basse-Ville, pour regarder une nouvelle fois les meubles ou les appareils ayant retenu son attention la semaine précédente, et conclure les transactions. Sa première destination fut le magasin PICARD, où elle effectua la plupart de ses achats.
    À la Quebec Power, si le vendeur se refusa tout à fait à lui consentir une réduction sur la radio et l’appareil de cuisson, il lui offrit un grille-pain tout à fait gratuit. Résolue à se montrer un peu moins acide, elle le récompensa de son meilleur sourire.

    *****
Au terme de sa conversation avec lui, elle sortit par l’arrière, pour ne pas s’exposer de nouveau à la tentation en passant devant les vitrines. Dans la rue Desfossés, la menace devenait moins grande, l’arrière des commerces se montrait plutôt rébarbatif. Les affaires allaient suffisamment bien pour entraîner un ballet de camions, les uns pour livrer des marchandises, les autres des

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