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Eugénie et l'enfant retrouvé

Eugénie et l'enfant retrouvé

Titel: Eugénie et l'enfant retrouvé Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Jean-Pierre Charland
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Décidément, tout devenait nouveau, inédit, moderne. D’un beau rouge vif, un liséré beige en rehaussait l’élégance. À l’intérieur, des banquettes recouvertes de cuir
    remplaçaient
    les
    anciennes,
    sans
    aucun
    rembourrage.
    Tout au long du trajet jusqu’à la rue de la Fabrique, le médecin compta combien lui coûteraient toutes les « merveilles»
    vues au cours de l’après-midi. Le total la laissa un peu troublée. Pour arriver à tout payer, elle devrait se convertir en une chaude partisane de la revanche des berceaux pour accumuler les accouchements, ou alors compter sur une terrible épidémie de coqueluche.

    Chapitre 7

    Inauguré au tout début du siècle, aménagé au fil des ans, le parc Victoria recevait tous les jours une grande affluence de visiteurs. Dans une section de la ville où les murs des maisons confinaient aux trottoirs, où les arrière-cours, dans le meilleur des cas, contenaient un potager et quelques animaux de basse-cour, et au pire présentaient des allures de dépotoir privé, il offrait un bel espace vert, un kiosque où des musiciens amateurs se produisaient, et même des lieux de loisir.
    Un aréna permettait de se dégourdir les jambes les jours de patinage libre. Surtout, des matchs de hockey réunissaient les amateurs. Bien sûr, le niveau du jeu demeurait bien modeste, comparé à celui offert par les Bulldogs pendant le court passage de l’équipe dans la Ligue nationale.
    — Je suis désolé, mais je ne me sens pas l’envie de voir The Wind ce soir, expliqua Jacques Létourneau.
    Le couple s’engageait à ce moment dans une allée bordée d’arbres. Germaine Huot se tenait à son bras, certaine d’attirer sur elle les regards jaloux de toutes les femmes qu’ils croisaient.
    — Cela ne fait rien. Selon une amie, ce film m’aurait empêchée de dormir.
    En réalité, la jeune vendeuse s’était un peu inquiétée à l’idée de voir ce film, l’histoire d’une femme tuant un homme pour se défendre d’une tentative de viol, et qui, par la suite, était hantée par l’image du cadavre sommairement enterré, sans cesse découvert par le jeu du vent sur le sable.
    Ce long métrage figurait certainement sur la liste des spectacles immoraux régulièrement fustigés à l’église par le père François.
    — Nous pourrons y aller une autre fois, proposa son compagnon. Ne serait-ce que pour voir Lilian Gish.
    Machinalement, Germaine porta la main à sa coiffure.
    Devrait-elle se friser les cheveux afin d’offrir une tête chargée de bouclettes comme la comédienne d’Hollywood ?
    Les permanentes faisaient rage depuis un moment et les jeunes filles sacrifiaient souvent des heures sous un appareil effrayant pour ressembler à un mouton.
    — Mais aujourd’hui, continua le jeune homme, même sa petite bouche en cœur ne réussirait pas à me distraire.
    Si ces mots témoignaient d’un manque de savoir-vivre, Germaine ne s’en formalisa pas trop. La compétition des écrans argentés s’avérait bien moins menaçante que celle des jeunes beautés de la paroisse.
    — C’est à cause de la fermeture des ateliers ? Tu parais tellement morose depuis quelque temps.
    — Tu es au courant ?
    Elle haussa les épaules comme si la question était un peu absurde.
    — Lundi de la semaine dernière, ton père a annoncé la nouvelle aux couturières. A midi, tout le monde en parlait au magasin. Cela a semé l’inquiétude parmi les vendeuses.
    — Comment cela ?
    — Si le patron éprouve des ennuis, cela peut se répercuter sur nous. Déjà, il n’est pas bien rapide pour ajuster les salaires à la hausse des prix.
    Afin de réduire les dépenses, l’homme pouvait rêver de licencier du personnel, ou alors réduire les salaires comme cela était arrivé en 1925-1926, dans le secteur de la chaussure. A l’époque, la mesure n’avait d’ailleurs pas permis de consolider les emplois.
    — Je pense que le magasin se porte très bien, dit son compagnon. Nous ne cessons pas de livrer des meubles coûteux. Si tu voyais les châteaux où nous allons parfois à la Haute-Ville...
    Le ton trahissait plus qu’une pointe d’envie. Depuis deux étés, le jeune homme nourrissait son ambition de ces visites dans l’intimité des bourgeois, un buffet ou un canapé dans les bras.
    — C’est aussi notre impression, sur le plancher. Les caisses enregistreuses ne cessent pas de sonner pendant la journée.
    Elle s’arrêta un moment, puis demanda en appuyant sur son

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