Eugénie et l'enfant retrouvé
yeux sur elle, partagés entre le dégoût et la fascination.
— Si personne parmi vous n’a l’intention de me reconduire à la maison, allez-vous-en.
Personne ne bougea, ni ne proposa de se transformer en chauffeur. Pourtant, surtout afin d’éviter de se trouver souillés de rouge, ils s’écartèrent pour la laisser passer.
Elle regagna la rue de la Couronne, puis se dirigea vers la prochaine intersection vers le nord, où se dressait l’hôtel Saint-Roch. Des taxis se tenaient toujours devant la porte.
Après avoir fait le tour des magasins, certaines consommatrices préféraient rentrer chez elles de cette façon. Quand Thalie ouvrit la portière arrière, le petit homme se tourna à demi pour lui demander où elle allait. La vue des vêtements souillés l’amena à protester :
— Hé ! C’est d’un médecin dont vous avez besoin, pas d’un taxi.
— Je suis médecin.
— ... Une ambulance, alors.
— Ce sang n’est pas à moi. Rue de la Fabrique, en face de l’hôtel de ville.
Sans plus de façon, elle s’installa sur la banquette, en faisant tout de même attention de ne toucher à rien. Le sang risquait de salir le tissu de recouvrement. En jurant entre ses dents, le chauffeur obéit. Le meilleur moyen de la faire descendre était de la mener au plus vite à destination.
Chapitre 8
Contre un loyer conséquent, Thalie habiterait dorénavant un petit
appartement
du
sixième
étage
du
Château
Saint-Louis. Devant la fenêtre du salon, elle disait :
— Bien sûr, la vue du côté du fleuve demeure bien plus impressionnante... mais le loyer est fixé en conséquence.
— Je ne sais pas quel est le point de vue du côté sud, commenta Elise, mais vers le nord, tu ne peux tout de même pas te plaindre.
La jeune femme éprouva une pointe de jalousie, mais sa bonne nature reprit tout de suite le dessus. Elle pivota sur elle-même en ajoutant :
— Puis, tu as ici une belle grande pièce.
Le salon devait faire douze pieds sur quatorze. En y plaçant une table et des chaises, elle l’aurait amputé de la moitié. Pour cela, elle avait décidé de mettre son coin dînette du côté de la cuisine.
— Je vais mettre des étagères pour couvrir tout le mur du fond, et devant, un bureau. Je pourrai travailler ici. Puis, il me restera tout de même la place pour mettre des fauteuils, la radio,
un
petit
meuble
pour
mes
bibelots.
Je
pourrai recevoir mes amies. La liste est bien courte, j’espère que tu feras partie de mes visiteuses régulières.
La brunette la récompensa d’un sourire. Malgré la différence d’âge, elles s’entendaient fort bien. Chacune comblait un peu la solitude de l’autre.
— Mais aujourd’hui, je ne peux même pas t’offrir un siège. Tout est encore vide.
— Tu as terminé tes achats, toutefois.
— Oui. J’ai demandé les livraisons au début du mois d’août. D’ici là, es-tu certaine que tu pourras consacrer quelques heures à la surveillance des lieux ?
Thalie avait embauché un vieil homme pour fabriquer les étagères où s’entasseraient ses livres. Elle ne les remplirait pas toutes au moment de son aménagement, mais lentement elle se faisait à l’idée de passer bien des années seule dans ce petit appartement. La lecture deviendrait son principal loisir.
— Maintenant que je me vois supplantée par ma fille au cabinet, répondit Elise, j’ai bien peur d’avoir tout mon temps.
— Voyons, Estelle ne te supplante pas. Elle se rend utile afin de te donner un peu de temps libre.
— ... Tu as sans doute raison, mais tu sais, quand une mère voit sa fille devenir une femme, cela donne un petit coup au cœur.
— Elle aimerait travailler ?
Tout en parlant, Thalie s’était dirigée vers la chambre.
La pièce, d’une grandeur acceptable aussi, avec une garde-robe, lui assurait un certain confort. Après son examen, Elise répondit très indirectement à la question.
— Comme moi, mes enfants sont à peu près complètement à la charge de mon père. Nous essayons tous de nous rendre utiles. Comme tu le sais, les assurances de Charles et la vente de la maison m’ont permis d’avoir une petite somme, de quoi payer la scolarité des enfants, certaines autres dépenses. Mais pour le reste...
De la main, elle fit un geste vague.
— Cela nous gêne tous les trois. A son âge, papa devrait penser à se reposer... et il doit encore nous faire vivre.
— Le docteur Caron ne me paraît ni fatigué, ni si pressé
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