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Eugénie et l'enfant retrouvé

Eugénie et l'enfant retrouvé

Titel: Eugénie et l'enfant retrouvé Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Jean-Pierre Charland
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fils d’un tête-à-tête agréable le temps de se rendre au travail. Comme le hasard avait curieusement fait les choses ! On ne pouvait imaginer deux hommes plus dissemblables. Pourtant, l’affection entre eux demeurait bien visible.
    — Tu acceptes de partager une bière avec moi ? demanda Jacques.
    — Avec plaisir. Nous pouvons même aller la boire derrière. À cette heure, personne ne nous verra.
    Les partisans de la prohibition sévissaient encore dans la province, malgré l’existence de la Régie des alcools. Etre vu depuis la voie publique une bière à la main, même sur le perron de sa demeure, exciterait les grenouilles de bénitier.
    Il en résulterait nécessairement une remontrance lors de la prochaine visite au confessionnal.
    Armés de deux verres et d’une grosse Dow bien fraîche, le père et le fils prirent place côte à côte sur la plus haute marche de l’escalier. A cette heure, quelques étoiles scintillaient dans le ciel. Jacques regarda en direction de la clôture, au bout du terrain. La petite souris ne s’y trouvait plus. Bientôt, elle cesserait de le relancer.

    *****
    La boutique de vêtements pour femmes, créée par Alfred Picard plus de trois décennies auparavant, continuait d’attirer la clientèle.
    Et
    dans
    l’appartement
    situé
    au
    dernier
    étage, la vie suivait son cours. Paul Dubuc occupait depuis peu le poste de ministre de l’Agriculture. Cet honneur était peut-être dû à sa naissance dans une ferme, ou alors le premier ministre le récompensait-il de ses trois réélections sans opposition depuis la fin de la guerre.
    Marie, de son côté, gérait son commerce avec l’aide d’Amélie et de deux jeunes vendeuses. Tôt ou tard, sa belle-fille déserterait elle aussi pour donner naissance à son premier enfant. Mais ce dénouement prévisible ne la troublait guère ce jour-là. Une question plus pressante la bouleversait jusqu’au fond du cœur.

    — La maison me paraît déjà si grande, si tu t’en vas toi aussi...
    La voix semblait si triste qu’un moment, Thalie perdit son sourire et pensa changer d’idée. Puis elle se ressaisit:
    — Maman, j’ai vingt-huit ans.
    — La maison ne se trouve pas moins accueillante pour autant.
    — Tu ne penses pas qu’il est temps que je sorte de tes jupons? Je ressemble à une véritable sotte, toujours à la maison à mon âge.
    — La vie de famille n’a rien de sot...
    La femme s’arrêta là, puis elle ne put réprimer un éclat de rire, elle même sensible au ridicule de la situation.
    — Je fais un peu sotte moi-même, n’est-ce pas?
    — Plutôt, oui.
    Le ton donnait une dimension affectueuse au mot utilisé.
    Thalie s’adossa confortablement dans son fauteuil, soulagée de voir sa mère abandonner son rôle de femme malheureuse dans une mauvaise comédie. Toutes les deux se tenaient dans le salon, après le travail, en attendant d’aller souper.
    — Je vais terriblement m’ennuyer, avoua Marie.
    — Pendant un certain temps, sans doute. Et toi, tu me manqueras. D’un autre côté, je serai fière de me comporter comme une grande fille. Et toi, tu te consoleras avec Paul.
    — A mon âge, tu sais...
    — Mais tu oublies que je suis ton médecin ! Vous me paraissez tous les deux des amoureux en assez bonne santé, si tu comprends ce que je veux dire.
    Les confidences dans le cabinet du docteur Picard étaient une chose, y faire allusion à la maison, une autre. La marchande s’efforça de changer de sujet.
    — Tu manqueras aussi à Gertrude.

    — Je n’en doute pas. Mais je ne m’en vais pas vivre à Tombouctou. Vous me reverrez bien souvent, toutes les deux.
    — Elle n’est pas en très bonne santé, n’est-ce pas ?
    Thalie hocha la tête de haut en bas. Elle admit en baissant la voix, car la domestique se tenait dans la pièce voisine :
    — Son corps est usé. Elle a commencé à travailler à douze ans, il y a cinquante-cinq ans de cela. Puis la douleur dans sa jambe devient de plus en plus cruelle.
    — Je lui dis de ralentir un peu, mais...
    La maîtresse de maison haussa les épaules, comme pour signifier son impuissance. Gertrude n’en faisait qu’à sa tête.
    L’âge ne la rendait guère plus conciliante.
    — Je suis mal à l’aise de parler ainsi d’une patiente, confessa le médecin.
    — Voilà une louable discrétion. Dans ce cas, revenons à notre premier sujet. J’admets que tu veuilles ton chez-toi.
    Mais cet appartement minuscule te coûtera la peau des

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