Ève
l'est. C'est vers le couchant qu'il est allé. Il est retourné d'où il venait : au pays de l'Éden.
Yaval se mit debout pour protester. Notre père ne le laissa pas poser ses questions.
— Yaval, mon fils, égorge ton plus jeune agneau. Nous allons le sacrifier sur l'autel d'Élohim. Youval, prépare tes lèvres : la nuit qui vient, on devra entendre les sons de ton flûtiau.
L'holocauste et la prière devant l'autel d'Élohim durèrent longtemps. Plus encore le temps où Youval joua de son flûtiau pour notre père. La lune blanchit le sol et les murs de la cour. Puis ce furent seulement les étoiles. Lemec'h demanda enfin à Youval de l'accompagner au seuil de sa chambre.
— Qui partage ma couche cette nuit ?
Youval s'avança dans la pièce.
— Personne n'est dans ta couche, mon père.
— Personne ? Regarde bien !
Youval répéta :
— Personne.
Lemec'h ordonna :
— Conduis-moi chez les femmes !
Ma mère Tsilah l'y attendait. Lemec'h n'en parut pas surpris. Il gronda :
— Femme, n'est-ce pas ton tour d'être dans ma couche ?
— Mon tour d'être dans ta couche, Lemec'h, je ne sais pas quand il reviendra. J'aurais trop peur ensuite de porter la semence d'un assassin.
Le ton et la violence des mots de ma mère ébranlèrent Lemec'h.
— Tsilah, tu t'obstines dans l'erreur ! s'écria-t-il. Tu es une ignorante et tu colportes l'ignorance.
— Ce que j'ai vu, je le sais. Le visage de mon fils Tubal, je l'ai vu. Toi, tu l'as fracassé.
Un rire aigre, sec comme le vent du Nord, racla la gorge de Lemec'h.
— C'est ce que tu crois. Tu as l'arrogance de ceux qui voient de leurs yeux. Mais pour ce qui est de la vérité, votre aveuglement n'a pas de fin.
— Est-ce toi qui parles d'arrogance et de vérité, Lemec'h ? Toi qui n'es que mensonges et mépris de la sagesse ?
Ma mère Tsilah eut à peine le temps d'achever sa phrase : le bâton de Lemec'h vola et lui frappa les côtes. Elle poussa un cri et tomba à genoux. Youval s'écria :
— Père ! Père !
Adah se tenait cachée sur le seuil de notre chambre. Elle courut relever ma mère. Noadia, Beyouria et moi nous serrions les unes contre les autres devant la fureur de Lemec'h. Son bâton se dressa à nouveau vers la poitrine de ma mère. Adah tendit une main pour la protéger.
— Lemec'h, Lemec'h ! Ne frappe pas tes femmes ! gémit-elle.
Ma mère resta droite, masquant sa douleur. Quelques larmes mouillaient ses joues.
— Qui crois-tu être pour m'insulter devant tous dans ma maison ? cria Lemec'h. Devant tous et à la face d'Élohim !
Ma mère Tsilah ne sut se retenir. La main sur son flanc, grimaçante de douleur, elle éclata d'un rire amer :
— Lemec'h, fou que tu es ! Tu te crois devant la face d'Élohim ! Grande-Mère Awan a raison : le châtiment des bannis de l'Éden te pend au nez et tu feins de ne pas le voir, massacreur que tu es !
Peut-être le bâton de notre père Lemec'h se serait-il à nouveau levé si Adah n'avait pas poussé ma mère Tsilah dans mes bras, me suppliant du regard de la reconduire à l'intérieur. J'obéis. Ma mère ne résista pas. Les yeux secs, muette, elle poussa seulement un cri de douleur quand je l'obligeai à s'allonger. Je pris le baume avec lequel on enduisait le ventre de Beyouria. Il faisait trop sombre pour que je voie la marque du coup. Ma mère guida ma main. Elle percevait les mots du dehors aussi bien que moi. Lemec'h parlait fort. Peut-être pour qu'elle l'entende. Il disait à Beyouria :
— J'ai demandé à ton frère Yaval de chercher cet Hadahézer qui est allé avec toi sous la tente. Je sais où il est. Mais tu ne dois plus l'attendre. C'est inutile.
Avant même sa fille, Adah s'écria, sa voix révélant toute la tristesse qui la rongeait depuis des jours :
— Les fils de Beyouria naîtront-ils donc sans le nom de leur père ? Ou leur faudra-t-il porter celui d'un absent ?
— Femmes, femmes ! s'écria Lemec'h. Femmes, ne craignez rien. Les fils porteront le nom de leur père : Élohim. Cet homme qui est venu pour connaître Beyouria était Son envoyé dans notre pays de Nôd pour que se poursuivent nos générations.
Il y eut un silence stupéfait. Sous ma paume, le grondement de ma mère fit trembler sa chair. On entendit le rire de Lemec'h :
— Femmes, usez de votre raison. Qui d'autre qu'Élohim enverrait un messager pour le rappeler aussitôt Son Signe transmis ? Les messagers d'Élohim ont l'apparence
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