Ève
voulu m'ensevelir dans la poussière de ce monde terrible où Élohim nous abandonnait.
11
Aujourd'hui, je n'ai pas le souvenir du temps qui passa sur mes larmes et mes regrets. Sans doute ai-je longtemps appelé, supplié et même accablé YHVH-Élohim de reproches. Pourquoi faisait-Il ce qu'Il faisait ?
Sa réponse, comme toujours les réponses d'Élohim, vint d'une manière imprévisible.
— Nahamma ?
À ce seul mot je reconnus la voix de Noah derrière la tenture. Mon souffle se suspendit et ma peau frissonna. Je fermai les paupières pour résister à son appel qui coulait déjà dans mon sang comme une incompréhensible espérance.
— Nahamma, c'est moi, Noah. Viens, viens vers le soleil. Ne reste pas dans l'obscurité.
Je fus debout d'un bond, le cœur battant. Je m'essuyai maladroitement, inutilement, les yeux avant de tirer la tenture. D'un seul coup d'œil Noah comprit ma détresse. Il eut ce sourire qui me plaisait tant, avec cette fois, peut-être, plus d'affection :
— Ta journée a été lourde. La vie près de notre Mère Ève n'est pas paisible. Ton arrivée et celle de ceux d'Hénoch ont rouvert des vieilles plaies entre elle et Adam. Mais ne t'inquiète pas. Cela dure depuis que YHVH les a chassés du jardin de l'Éden. Mon père Seth n'est pas plus raisonnable qu'eux. Il y a longtemps qu'il a choisi de se ranger du côté d'Adam et contre Ève, sa propre mère.
Noah s'assombrit, eut une moue de désapprobation avant que son regard retrouve sa légèreté :
— Au moins, comprends-tu maintenant la surprise et la mauvaise humeur de mon père en te découvrant si semblable à Ève ? Mais tu n'es pour rien dans ces cris et cette colère. Ce sont les enfantillages d'une famille trop vieille et rancie de reproches. Il n'y a pas de quoi t'en mouiller les yeux.
L'envie me vint de lui demander : « Et toi, ô Noah, est-ce de me voir si pareille à Ève qui te fait te soucier de moi ou est-ce véritablement Nahamma, enfant d'Hénoch et fille de Lemec'h, qui mérite ton attention ? »
J'en fus incapable. Je dis :
— Ce n'est pas d'entendre Adam et Ève se disputer qui me fait pleurer, mais de voir ceux d'Hénoch me repousser. Pour eux, j'incarne maintenant l'injustice de YHVH-Élohim.
Le sourire de Noah s'effaça. La sévérité qui figea sa face, je ne la connaissais pas. Pourtant, nul besoin de mots pour exprimer le reproche que j'y lus. Ceux d'Hénoch, me disait-il en silence, méritent leur châtiment. Qui peut prétendre qu'ils sont victimes d'une injustice ?
Je ne baissai pas les paupières.
— Noah, dis-je, tu te trompes sur mes paroles. L'injustice n'est pas que YHVH soit las des générations de Caïn. L'injustice est qu'Il m'épargne, moi seule. Il n'y a rien en moi qui soit différent de mes compagnons. Ne suis-je pas faite du sang et des fautes de mon père Lemec'h, le pire des hommes d'Hénoch ? Que fais-je ici ? Pourquoi YHVH-Élohim veut-Il me sauver ?
Surpris, Noah me fixa sans répondre. Et si longuement, le visage si fermé, que je crus l'avoir offensé. Déjà ma gorge s'en séchait de regrets.
Et puis, aussi brutalement qu'il s'était effacé, son sourire malin revint danser sur ses lèvres.
— Nahamma, dit-il, peut-être te connais-tu moins bien que tu ne le crois ? Peut-être YHVH ne t'a-t-Il pas voulue seulement faite du sang de ton père ?
J'allais protester, lui répondre que YHVH ne se souciait plus depuis longtemps du sang de ceux d'Hénoch, mais il se détourna et désigna quelque chose derrière moi.
— On m'a dit que tu tissais. Cet ouvrage est-il de tes mains ?
Il montrait, au pied de ma couche, l'étrange tissage que j'avais réalisé au cours de notre longue marche, en ce jour unique de repos dans la « parcelle de l'Éden », comme l'avait appelée Lekh-Lekha.
— Ce n'est rien d'utile, dis-je en rougissant. Du gaspillage de laine.
Mais Noah voulut le voir de près. Il m'interrogea : Où l'avais-je tissé ? À quelle occasion ? Pourquoi avais-je désiré faire cette chose inutile ?
La description que je lui fis de la « parcelle de l'Éden » l'enchanta. Il voulut tout savoir : la couleur et le parfum des fleurs, le goût des fruits, le brillant des feuilles et le comportement étrange des fauves. Comme je répondais aisément à ses questions, il vanta ma mémoire. Je ris en lui montrant les taches de couleur, leurs formes et leur emplacement sur le tapis :
— Ce n'est pas ma mémoire qui
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