Ève
rien. Au moins, Caïn portait-il le Signe. Ce doit être parce qu'Il est très las de cette engeance.
— Adam, soupira Ève avant que Seth ne puisse répondre, es-tu sorti de ton jardin seulement pour humilier et effrayer ces pauvres gens ? Ils ont fait un terrible voyage pour venir devant toi...
— Des pauvres gens ? Les générations de Caïn, de ton fils meurtrier ? Des pauvres gens ! Et ils seraient là pour me voir alors qu'ils bavent d'admiration devant toi !
Avec répugnance, l'air furieux, Adam scruta rapidement les visages qui lui faisaient face avant de s'adresser à
nouveau à Ève :
— Crois-tu qu'ils comprennent quelque chose à ton galimatias ? Je t'ai entendue. Comme toujours, tes mots ne disent rien du vrai. Ta seule obsession est de masquer ta faute !
Il se plaça de toute sa hauteur entre Ève et nous.
— Tu as oublié que c'est moi, Adam, né de la volonté de YHVH, qui t'ai engendrée ! Moi, Adam, né à l'égal de YHVH, qui t'ai nommée. Moi !
Ève éclata de rire :
— Si j'étais sortie de ton corps, la faute dont tu parles ne t'incomberait-elle pas aussi ?
Elle se tourna vers nous qui suivions, sidérés, cette scène entre nos Ancêtres :
— Vous, gens d'Hénoch, qui êtes venus de si loin pour nous voir, pour nous entendre, sachez qu'Adam ne m'a pas engendrée. Il ignore tout de l'engendrement. YHVH s'est servi de lui, c'est tout. Et Adam ne m'a pas nommée dans l'Éden, mais seulement ici, après la naissance de Caïn. Et pour une raison qu'il préfère oublier...
— Ah, oui, parlons-en, de Caïn ! l'interrompit Adam en hurlant. C'est bien le moment, puisque ceux d'Hénoch sont là ! Ces « pauvres gens » ! Leur as-tu dit pourquoi nous vivons ici, sans plus d'Éden autour de nous ? Leur as-tu dit la vérité sur leur aïeul Caïn ?
Les lèvres closes, le regard serein, Ève garda le silence. La rage d'Adam s'accrut :
— Ah, non ! Bien sûr, tu ne t'en es pas vantée. Tu veux seulement les divertir avec des fables pour faire oublier ce qui ne peut l'être.
Et comme Ève persistait à se taire, il s'écria :
— S'ils sont là, ces sauvages d'Hénoch, n'est-ce pas que YHVH veut qu'ils entendent la vérité sur ce qui est advenu dans l'Éden ?
Cette fois, une lueur d'amusement traversa le regard d'Ève.
— Nous t'écoutons, dit-elle avec tendresse.
Sa douceur déconcerta Adam. D'un geste sec de la main, il agita l'air devant lui puis se tourna vers nous.
— Elle a raison, reprit-il sur un ton saccadé. Écoutez-moi donc, puisque vous êtes venus jusqu'ici pour ça. La vérité n'est pas longue à dire. Oui, l'Éden était parfait et son jardin plus que parfait, car YHVH l'avait conçu pour moi.
Il bomba le torse :
— Oui, pour moi. Nous allions bien tous ensemble, magnifiquement bien. Les choses, les plantes, les bêtes, YHVH et moi-même. Tout était parfait. Puis un jour tout à fait comme les autres, YHVH m'a dit : « Va à tel endroit. Tu y verras un arbre isolé. Sa beauté te plaira. » J'ai suivi Son conseil. J'ai trouvé l'arbre. Sa beauté m'a plu. J'en ai remercié YHVH. Il m'a répondu : « Ne me remercie pas. Cet arbre, tu peux le contempler, mais mange un seul de ses fruits et c'en sera fini de ta perfection et de celle de ton jardin. » Surpris, je Lui ai demandé : « En ce cas, ô YHVH, pourquoi le placer là ? » « Trouve la réponse à ta question et tu sauras ce qu'il est de toi et de Moi », m'a-t-Il répondu. Ah, me suis-je dit, YHVH s'ennuie et veut s'amuser avec moi. Quant à moi, dans mon jardin de l'Éden, je n'éprouvais aucun ennui. Il était parfait, comme moi-même. Nulle curiosité ne me taraudait et je n'éprouvais aucune envie d'en savoir plus sur cet arbre qu'on pouvait contempler sans jamais en goûter les fruits. À quoi bon s'en soucier, d'ailleurs ? Mon jardin contenait d'autres arbres tout aussi beaux et aux fruits parfaitement délicieux. Il se peut que YHVH se soit senti jaloux. Jaloux de cette perfection que je Lui montrais en dédaignant Son arbre. Après tout, ma perfection était si entièrement le reflet de la sienne qu'elle l'empêchait de se montrer tout à fait supérieur à moi. Si bien qu'Il est venu à moi et m'a dit : « Adam, j'ai réfléchi. Il n'est pas bon que tu restes seul. Les bêtes de ton jardin vont par mâle et femelle et s'en trouvent bien. À toi aussi il te faut de l'accompagnement. Séparons en toi ce qui fait l'un et
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