Excalibur
fléchir mon mur, car ils poussèrent une grande
clameur et foncèrent soudain sur nous.
« Serrez
les rangs ! » criai-je, puis je brandis ma lance au-dessus de ma
tête. Au moins trois Saxons me regardaient en se ruant sur nous. J’étais un seigneur,
je portais de l’or, et s’ils pouvaient envoyer mon âme dans l’Autre Monde, ils
y gagneraient renom et richesses. L’un d’eux, avide de gloire, dépassa ses
compagnons en visant mon bouclier de sa lance ; je devinai qu’au dernier
moment, il en baisserait la pointe pour me transpercer la cheville. Mais déjà
il était trop tard pour réfléchir et il me fallait combattre. Je lui enfonçai
ma lance dans la figure et abaissai mon bouclier pour dévier son coup. La lame
m’écorcha tout de même la jambe, tranchant le cuir de ma botte droite sous le
jambart que j’avais pris à Wulfger, mais ma lance ensanglantée était plantée
dans son visage et il tomba à la renverse au moment où je la retirai et où les
guerriers suivants arrivaient pour me tuer.
Ils survinrent
juste au moment où les boucliers des deux murs se heurtaient avec un bruit
semblable à celui de mondes entrant en collision. Je sentais les Saxons, l’odeur
du cuir, de la sueur et des excréments, mais pas de la bière. Cette bataille
avait commencé à une heure trop matinale, les Saxons surpris n’avaient pas eu
le temps de puiser leur courage dans l’ivresse. Des hommes me poussaient par
derrière, m’écrasant contre mon bouclier qui heurta un écu saxon. Je crachai
sur le visage barbu, dardai ma lance vers son épaule et sentis une main ennemie
l’empoigner. Je la lâchai et, d’une puissante bourrade, me libérai suffisamment
pour tirer Hywelbane. J’abattis l’épée sur l’homme qui se tenait devant moi. Il
n’était coiffé que d’un bonnet de cuir bourré de chiffons que le tranchant
fraîchement affûté d’Hywelbane traversa jusqu’à son cerveau. L’épée resta
coincée un moment dans son crâne, et je luttais contre le poids du cadavre
lorsqu’un Saxon abattit sa hache sur ma tête.
Mon casque
soutint le coup. Un bruit retentissant emplit l’univers et une obscurité
traversée d’éclairs de lumière envahit soudain ma tête. Mes hommes me dirent
plus tard que j’étais resté inconscient durant plusieurs minutes, pourtant je
ne tombai pas grâce à la pression des corps qui me gardait debout. Je ne me
souviens de rien, mais rares sont les hommes qui se rappellent grand-chose de
tels affrontements. On pousse, on jure, on crache et on frappe quand on le
peut. L’un de mes voisins a dit que j’avais bronché sous le coup de hache et
failli trébucher sur les corps des hommes que j’avais tués, mais celui qui
était derrière moi me retint par mon ceinturon, me remit bien droit sur mes
pieds, et mes queues de loup se pressèrent autour de moi pour me protéger. L’ennemi
sentit que j’avais été blessé et combattit plus vigoureusement, les haches
cinglaient les boucliers et entaillaient les lames des épées ; j’émergeai
lentement de mon étourdissement et me retrouvai au second rang, en sécurité
derrière la protection bénie de mon bouclier, tenant toujours Hywelbane à la
main. La tête me faisait mal, mais je n’y pensais pas, seulement possédé par le
besoin de frapper d’estoc et de taille, de crier et de tuer. Issa tenait la
brèche que les chiens avaient faite, tuant inflexiblement les Saxons qui s’étaient
introduits dans notre mur et scellant ainsi notre ligne avec leurs cadavres.
Cerdic nous
surpassait en nombre, mais il ne pouvait pas nous prendre à revers à cause de
la cavalerie lourde et ne voulait pas lancer ses hommes contre elle sur le
versant de la colline, aussi les envoya-t-il tenter de nous contourner au sud ;
Sagramor le prit de vitesse et entraîna ses lanciers dans cette brèche. Je me
souviens du fracas que firent leurs boucliers en se heurtant. Le sang avait
rempli ma botte droite et il giclait lorsque je faisais porter mon poids
dessus, une douleur me lancinait le crâne et je ne cessais de gronder en
montrant les dents. L’homme qui avait pris ma place au premier rang ne voulait
pas me la rendre. « Ils cèdent. Seigneur, me cria-t-il, ils cèdent ! »
En effet, la pression de l’ennemi faiblissait. Ils n’étaient pas vaincus, ils
se contentaient de reculer, quand soudain un ordre en saxon leur ordonna de
faire retraite, ils donnèrent un dernier coup de lance ou de hache et se
retirèrent en
Weitere Kostenlose Bücher