Excalibur
d’un ton plein de mépris, le
lendemain, tandis que nous longions la rivière pour revenir à Isca. Les saules
étaient nimbés de leurs premières feuilles printanières, mais un vent froid et
des nappes de brouillard rappelaient l’hiver.
« Il
pourrait le faire si le prix est assez élevé. » Le prix était
considérable, car si Meurig gouvernait à la fois le Gwent et la Dumnonie, il
contrôlerait la partie la plus riche de la Bretagne. « Cela dépendra du
nombre de lances qui s’opposeront à lui.
— Les
tiennes, celles d’Issa, celles d’Arthur, celtes de Sagramor.
— Peut-être
cinq cents hommes ? Ceux de Sagramor sont loin et ceux d’Arthur seraient
forcés de traverser le Gwent pour arriver en Dumnonie. Combien d’hommes peut
commander Meurig ? Un millier ?
— Il ne
courra pas le risque d’une guerre, insista Galahad. Il veut le gros lot, mais
le péril le terrifie. » Il avait arrêté son cheval pour observer un homme
qui péchait dans un coracle, au milieu de la rivière. Le pêcheur jetait son
filet avec une habileté nonchalante et, pendant que Galahad admirait sa
dextérité, je chargeai chaque lancer d’un présage. S’il prend un saumon, me
dis-je, Mordred mourra. Le filet ramena un gros poisson qui se débattait, et je
pensai que l’augure n’avait aucun sens car nous mourrons tous, puis je me dis
que le prochain lancer ramasserait un poisson si Mordred mourait avant Beltain.
Le filet remonta vide et je touchai le fer de la garde d’Hywelbane. Le pêcheur
nous vendit une partie de ses prises, nous fourrâmes les saumons dans nos
sacoches de selle et poursuivîmes notre route. Je priai Mithra pour que mes
stupides présages soient mensongers, puis pour que Galahad ait raison et que
Meurig n’ose pas engager ses troupes. Mais pour la Dumnonie ? La riche
Dumnonie ? Elle valait bien que l’on coure un risque, même pour un homme
aussi prudent que Meurig.
Les rois
faibles sont une malédiction, pourtant nous leur prêtons serment, et si nous ne
le faisions pas, nous n’aurions plus de loi, et ce serait l’anarchie, aussi
sommes-nous forcés de nous incliner devant la loi et de la garder par nos
serments ; si un homme pouvait changer de roi à son gré, il pourrait
renoncer à ses serments en même temps qu’à son roi mal choisi, aussi avons-nous
besoin de rois parce qu’il nous faut une loi immuable. Tout cela est vrai,
cependant tandis que Galahad et moi rentrions chez nous dans le brouillard
hivernal, j’étais au bord des larmes à l’idée que l’homme qui aurait dû être
roi ne le serait jamais, et que ceux qui n’auraient jamais dû l’être le fussent
tous.
*
Nous trouvâmes
Arthur dans sa forge. Il l’avait édifiée lui-même, et construit un fourneau
couvert avec des briques romaines, puis acheté une enclume et des outils de
forgeron. Il avait toujours déclaré que c’était le métier qu’il aurait voulu
exercer, pourtant comme Guenièvre le faisait fréquemment remarquer, vouloir et
être n’étaient pas du tout la même chose. Mais Arthur s’y employa de toutes ses
forces. Il engagea un authentique forgeron, décharné et taciturne, appelé
Morridig, dont la tâche consistait à lui enseigner le métier, pourtant cet
homme désespérait depuis longtemps de rien lui apprendre, en dépit de l’enthousiasme
dont Arthur faisait preuve. Nous possédions tous, cependant, des objets
fabriqués par lui : candélabres de fer aux tiges tortillées, marmites
informes aux poignées disproportionnées, broches qui pliaient au-dessus de la
flamme. Cette occupation le rendait tout de même heureux et il passait des
heures devant son fourneau chuintant, sans perdre l’espoir qu’un peu plus de
pratique le rendrait aussi compétent que Morridig.
Il était seul
dans la forge lorsque Galahad et moi revînmes de Burrium. Il nous accueillit
avec un grognement distrait, puis continua de marteler un morceau de fer
informe qui, prétendit-il, était un fer destiné à l’un de ses chevaux. Il
laissa retomber son marteau à contrecœur lorsque nous lui offrîmes l’un des
saumons que nous avions achetés, puis interrompit notre récit en disant qu’il
avait déjà entendu dire que Mordred était sur le point de mourir. « Un
barde arrivé hier d’Armorique dit que la jambe du roi est pourrie jusqu’à la
hanche. Et qu’il pue comme un crapaud mort.
— Comment
le sait-il ? demandai-je, car je croyais Mordred assiégé et coupé de
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