Excalibur
renonçait à son propre pouvoir, avait eu pour but d’affaiblir
le trône de Dumnonie, dans l’espoir qu’il pourrait un jour devenir vacant ;
mais aujourd’hui, il voyait enfin sa chance se profiler, même s’il n’osait pas
annoncer ouvertement sa propre candidature avant que la nouvelle assurée de la
mort de Mordred n’arrive en Bretagne. « Je soutiendrai tout candidat qui
se présentera en disciple de notre Seigneur Jésus-Christ. » Il fit un
signe de croix. « Je ne peux rien faire d’autre, car je sers le Dieu
Tout-Puissant.
— Loué
soit-Il ! se hâta de dire l’évêque.
— Et je
sais de source sûre, Seigneur Derfel, que les chrétiens de Dumnonie réclament à
grands cris un bon souverain chrétien. À grands cris !
— Et qui
vous informe de cela, Seigneur Roi ? » demandai-je d’une voix si
acide que le pauvre Peredur parut s’alarmer. Meurig ne me donna nulle réponse,
comme je m’y attendais, aussi y suppléai-je moi-même. « L’évêque Sansum ?
suggérai-je, et je vis à son expression indignée que je ne me trompais pas.
— Pourquoi
Sansum aurait-il quelque chose à dire dans cette affaire ? demanda Meurig,
le visage empourpré.
— Sansum
vient du Gwent, n’est-ce pas, Seigneur Roi ? » demandai-je, et le roi
rougit encore plus, apportant la preuve que l’évêque complotait pour l’installer
sur le trône de notre pays, sachant qu’il recevrait un surcroît de pouvoir,
pour récompense de son soutien. « Mais je ne crois pas que les chrétiens
de Dumnonie aient besoin de votre protection, Seigneur Roi, poursuivis-je, ni
de celle de Sansum. Gwydre, comme son père, est un ami de votre foi.
— Un ami !
Arthur, un ami du Christ ! me répliqua sèchement Lladarn. Il y a des
sanctuaires païens en Silurie, on y sacrifie des bêtes aux Dieux anciens, des
femmes dansent nues sous la lune, on fait passer des bébés dans le cercle de
feu, les druides bredouillent leurs incantations ! » Des postillons
jaillissaient de la bouche de l’évêque tandis qu’il débitait sa liste d’iniquités.
« Sans
les bénédictions du règne du Christ, il ne peut pas y avoir de paix, proféra
Meurig en se penchant vers moi.
— Il ne
peut pas y avoir de paix, Seigneur Roi, dis-je sans ambages, si deux hommes
désirent le même royaume. Que voulez-vous que je dise à mon gendre ? »
De nouveau, ma
franchise déstabilisa Meurig. Il tripota une coquille d’huître en réfléchissant
à sa réponse, puis haussa les épaules. « Vous pouvez certifier à Gwydre qu’il
aura de la terre, des honneurs, un titre et ma protection, dit-il en clignant
rapidement des yeux, mais je ne le laisserai pas devenir roi de Dumnonie. »
Il rougit en énonçant ces derniers mots. C’était un homme intelligent, mais
profondément lâche, et il lui avait fallu un grand effort pour s’exprimer si
carrément.
Peut-être
craignait-il ma colère, mais je lui offris une réplique courtoise. « Je le
lui dirai, Seigneur Roi. » En fait, le message n’était pas adressé à
Gwydre, mais à Arthur. Meurig ne se contentait pas de déclarer son désir de
régner sur la Dumnonie, il avertissait Arthur que la formidable armée du Gwent
s’opposerait à la candidature de son fils.
Lladarn se
pencha vers le roi pour lui chuchoter un message urgent. Il parla en latin,
certain que ni Galahad ni moi ne pourrions le comprendre, mais mon compagnon le
parlait et surprit une partie de ce qu’il disait. « Vous projetez de
garder Arthur enfermé en Silurie ? » accusa-t-il l’évêque en breton.
Lladarn
rougit. Il était non seulement évêque de Burrium, mais encore principal
conseiller du roi, et donc homme de pouvoir. « Mon roi, dit-il en
inclinant la tête en direction de Meurig, ne peut pas laisser les lanciers d’Arthur
traverser le Gwent.
— Est-ce
vrai, Seigneur Roi ? demanda poliment Galahad.
— Je suis
un homme de paix, fulmina Meurig, et pour assurer la paix, il suffit de garder
ses lanciers chez soi. »
Je ne dis
rien, craignant que la colère ne me fasse lâcher à l’étourdie quelque insulte
qui envenimerait les choses. Si Meurig interdisait à mes lanciers d’emprunter ses
routes, il réussirait à diviser les forces qui soutiendraient Gwydre. Cela
voulait dire qu’Arthur et Sagramor seraient dans l’impossibilité de se
rejoindre, et que Meurig deviendrait probablement le prochain roi de Dumnonie.
« Mais
Meurig ne se battra pas », déclara Galahad
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