Excalibur
jours, nous aurons rejoint Sagramor. » Il lui avait envoyé des
messagers et, maintenant que l’armée de Mordred avait quitté la Dumnonie, plus
rien ne devait empêcher le Numide de nous rejoindre. « Nous aurons une
armée, peu nombreuse mais expérimentée. Assez pour vaincre Mordred, et nous
pourrons tout recommencer à zéro.
— Recommencer
à zéro ? demandai-je.
— Repousser
une fois de plus Cerdic et fourrer un peu de bon sens dans la tête de Meurig. »
Il rit amèrement. « Il y a toujours une autre bataille à mener. L’as-tu
remarqué ? Lorsqu’on croit que tout est réglé, les choses recommencent à
bouillonner. » Il toucha la garde d’Excalibur. « Pauvre Hygwydd. Il
va me manquer.
— Moi
aussi, je vais te manquer, Seigneur », dis-je, tristement. Le moignon de
mon poignet gauche m’élançait douloureusement et ma main absente me démangeait
sans que je puisse expliquer pourquoi ; la sensation était si réelle que j’essayais
sans cesse de me gratter.
« Tu vas
me manquer ? demanda Arthur, un sourcil levé.
— Quand
Sansum me convoquera.
— Ah !
Le Seigneur des Souris. » Il m’offrit un bref sourire. « Je pense qu’il
voudra revenir en Dumnonie, n’est-ce pas ? Je ne le vois pas monter en
grade dans le Gwent, ils ont déjà beaucoup trop d’évêques. Non, il voudra revenir
et la pauvre Morgane voudra récupérer le sanctuaire d’Ynys Wydryn, aussi je
conclurai un marché avec eux. Ton âme contre la promesse que fera Gwydre de les
laisser vivre en Dumnonie. Ne t’inquiète pas, Derfel, nous te libérerons de ton
serment. » Il me donna une grande claque sur l’épaule, puis alla rejoindre
Guenièvre assise au pied du mât.
Balig arracha
une flèche de l’étambot, en détacha la pointe en fer qu’il fourra dans une
poche où il conservait divers biens précieux, puis jeta la hampe emplumée dans
la mer. « J’aime pas ça », dit-il en désignant l’ouest d’un coup de
menton. Je me retournai et vis qu’il y avait des nuages noirs loin en mer. « De
la pluie ? demandai-je.
— Ça peut
aussi être un coup d’vent, dit-il d’un ton inquiétant, puis il cracha
par-dessus bord pour conjurer le mauvais sort. Mais on n’a pas b’soin d’aller
en haute mer. On y échappera p’t’êt’. » Il se pencha sur le gouvernail
tandis que le bateau franchissait le dernier grand méandre de la rivière. Nous
cinglions plein ouest maintenant, face au vent, et la surface de l’eau
clapotait de petites vagues crêtées de blanc qui se brisaient sur notre proue
et éclaboussaient tout le pont. La voile n’était pas encore hissée. « Souquez
ferme ! » cria Balig à nos rameurs. Le Saxon avait un aviron, Galahad
aussi, Taliesin et Culhwch occupaient le banc du milieu, et les deux fils de
Culhwch complétaient l’équipage. Les six hommes ramaient de toutes leurs
forces, luttant contre le vent, mais le courant et la marée nous aidaient
encore. À la proue et à la poupe, les bannières claquaient, faisant cliqueter
les flèches fichées dedans.
Devant nous,
la rivière obliquait vers le sud et c’était là que Balig hisserait la voile
afin que le vent nous aide à descendre le long estuaire. Une fois en mer, il nous
faudrait demeurer à l’intérieur du chenal marqué par des brins d’osier, qui
courait entre de vastes bas-fonds, jusqu’à ce que nous atteignions les eaux
profondes où nous pourrions nous détourner du vent pour rejoindre à toute
allure la côte dumnonienne. « La traversée s’ra pas trop longue, dit Balig
pour nous réconforter, en jetant un coup d’œil aux nuages, non pas trop. On
devrait le prendre d’vitesse, ce p’tit vent.
— Les
bateaux arriveront-ils à rester ensemble ? demandai-je.
— Plus ou
moins. » Il montra d’un brusque mouvement de tête l’embarcation qui était
juste devant nous. « Ce vieux baquet, y va rester à la traîne. Comme une
truie pleine, qu’il avance, mais plus ou moins, plus ou moins. »
Les cavaliers
de Nimue nous attendaient sur une langue de terre, là où la rivière tournait en
direction de la mer. En nous voyant arriver, elle sortit de la masse des
lanciers et poussa son cheval dans l’eau peu profonde. Comme nous nous rapprochions,
je vis deux de ses hommes traîner un captif dans les bas-fonds, à côté d’elle.
D’abord, je
crus qu’il s’agissait d’un de nos hommes fait prisonnier sur le bateau échoué,
puis je vis que c’était Merlin. On lui
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