Excalibur
avait coupé la barbe et sa chevelure
blanche ébouriffée flottait comme une loque dans le vent de plus en plus fort.
Le druide regardait dans notre direction, sans nous voir, mais j’aurais juré qu’il
souriait. Je ne distinguais pas bien son visage, car la distance était trop
grande, mais je jure qu’il souriait tandis qu’on le poussait dans les petites
vagues. Il savait ce qui allait arriver.
Et soudain,
moi aussi, pourtant je ne pouvais rien faire pour l’empêcher.
Nimue avait
été apportée par la mer, tout enfant. Les trafiquants d’esclaves qui l’avaient
capturée en Démétie traversaient la mer de Severn pour se rendre en Dumnonie,
mais une tempête les surprit en cours de route et tous les vaisseaux sombrèrent.
Les équipages et leurs captifs se noyèrent, tous sauf Nimue qui vint s’échouer
sur le rivage rocheux d’Ynys Wair. Merlin, qui secourut l’enfant, l’appela Vivienne
parce que Manawydan, le Dieu de la mer, devait l’aimer, et Vivienne est un nom
qui lui appartient. Nimue, la revêche, refusa toujours de le porter, mais je m’en
souvins alors, ainsi que de cet amour que Manawydan lui portait, et je compris
qu’elle allait requérir l’aide du dieu pour nous infliger une terrible
malédiction.
« Qu’est-ce
qu’elle fait ? demanda Arthur.
— Ne
regarde pas, Seigneur. »
Les deux
lanciers étaient retournés sur la berge, laissant Merlin aveugle seul à côté du
cheval de Nimue. Il ne tenta par de s’échapper. Il demeura simplement là, ses
cheveux blancs flottant au vent, tandis que Nimue tirait un poignard de son
ceinturon. C’était le Couteau de Laufrodedd.
« Non ! »
cria Arthur, mais le vent renvoya sa protestation dans le sillage de nos
bateaux, vers les marais et les roseaux, vers nulle part. « Non ! »
cria-t-il de nouveau.
Nimue pointa
son bâton de druide vers l’ouest, renversa la tête en arrière et hurla. Merlin
ne bougeait toujours pas. Notre flotte défila devant eux, chaque embarcation
passant près des bas-fonds où se tenait le cheval de Nimue, avant d’être emportée
brusquement vers le sud lorsque les marins hissaient les voiles. Nimue attendit
que notre bateau où flottaient les étendards se rapproche, puis baissa la tête
et nous regarda de son œil unique. Elle souriait, et Merlin aussi. J’étais
maintenant assez près pour voir distinctement qu’il souriait toujours tandis
que Nimue se penchait sur sa selle, le couteau brandi. Un unique coup suffit.
Et la longue
chevelure blanche, la longue robe blanche de Merlin, devinrent rouges.
Nimue hurla de
nouveau. Je l’avais entendue crier maintes fois, mais jamais ainsi, car dans ce
hurlement, l’angoisse se mêlait au triomphe. Elle avait lancé son sortilège.
Elle se laissa
glisser de sa selle et lâcha le bâton. La mort de Merlin avait dû être prompte,
mais son corps tressautait encore dans les petites vagues et durant quelques
battements de cœur, on eut l’impression que Nimue luttait avec son cadavre. Le
sang avait éclaboussé sa robe et tout ce rouge fut aussitôt dilué par la mer
lorsqu’elle poussa avec peine le corps de Merlin dans l’eau. Pour finir, enfin
libéré de la vase, il flotta et elle l’envoya loin dans le courant, comme un
cadeau à son seigneur, Manawydan.
Et quel don
elle lui faisait là. Le corps d’un druide est une magie puissante, la plus
puissante que puisse posséder ce pauvre monde, et Merlin était le dernier, le
plus grand des druides. D’autres vinrent après lui, bien sûr, mais aucun n’avait
ses connaissances, aucun n’avait sa sagesse, et aucun n’avait la moitié de sa
puissance. Et tout cela était maintenant sacrifié pour un unique sortilège, une
seule incantation destinée au Dieu de la mer qui avait sauvé Nimue, tant d’années
auparavant.
Elle reprit le
bâton qui flottait sur les vagues et le pointa sur notre bateau, puis éclata de
rire. Rejetant la tête en arrière, elle rit comme les fous qui l’avaient suivie
depuis les montagnes jusqu’à cette mise à mort, dans les eaux. « Vous
survivrez ! lança-t-elle à notre bateau, et nous nous rencontrerons de nouveau ! »
Balig hissa la
voile, le vent s’en empara et nous lança dans l’estuaire. Silencieux, nous
fixions toujours Nimue, et l’endroit où, blanc dans le tumulte des vagues
grises, le corps de Merlin nous suivait vers les grands fonds de l’océan.
Où Manawydan
nous attendait.
*
Nous tournâmes
notre bateau vers le
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