Excalibur
provoquée par la mort d’un
druide, et le monde faisait hurler l’air et la mer dans nos oreilles, tandis
que notre navire qui craquait s’élevait et retombait sous le talonnement des
vagues. L’eau giclait entre les planches de la coque, mais nous recopions aussi
vite qu’elle arrivait.
Puis, sur la
crête d’une vague, j’aperçus les premières épaves et, un peu plus tard, un
homme qui nageait. Il essaya d’appeler au secours, mais la mer l’engloutit. La
destruction de la flotte d’Arthur avait commencé. Parfois, lorsqu’une rafale de
vent passait et que l’atmosphère se dégageait momentanément, on pouvait voir
des hommes écoper frénétiquement, et constater combien les navires avançaient
pesamment dans le tumulte, puis la tempête nous aveuglait de nouveau, et quand
elle s’éclaircissait encore, il n’y avait plus de bateau visible, juste des
morceaux de bois qui surnageaient. La flotte d’Arthur, bâtiment après bâtiment,
sombra, hommes et femmes furent noyés. Ceux qui portaient leur armure moururent
les premiers.
Et pendant
tout ce temps, juste derrière l’épave de notre voile secouée par la mer que
notre bateau traînait péniblement, le corps de Merlin nous suivait. Il apparut
peu après que nous eûmes jeté notre gréement par-dessus bord, puis demeura avec
nous, et tantôt je voyais sa robe blanche sur la face d’une vague, tantôt elle
disparaissait pour réapparaître bientôt dans le mouvement incessant de la mer.
Une fois, ce fut comme s’il sortait la tête de l’eau, et je constatai que la
plaie de sa gorge avait été lavée de son sang par l’océan et que ses orbites
vides nous regardaient fixement, mais les vagues le recouvrirent et je touchai
un clou de l’étambot en suppliant Manawydan de coucher le druide dans le lit de
la mer. Prends-le, priai-je, et envoie son âme dans l’Autre Monde, mais chaque
fois que je regardais, il était encore là, ses cheveux blancs déployés autour
de sa tête sur la mer qui tourbillonnait.
Merlin était
là, mais pas les bateaux. Nous scrutions au travers de la pluie et des embruns,
mais il n’y avait plus autour de nous qu’un ciel noir bouillonnant, une mer
grise à l’écume d’un blanc sale, des débris, et Merlin, toujours Merlin ;
je pense qu’il nous protégeait, non parce qu’il voulait nous sauver, mais parce
que Nimue n’en avait pas terminé avec nous. Notre bateau transportait ce qu’elle
désirait le plus, aussi devait-il être préservé dans les eaux de Manawydan.
Merlin ne
disparut que lorsque la tempête elle-même se fut évanouie. Je vis une dernière
fois son visage, puis il s’enfonça. Durant un battement de cœur, une forme
blanche aux bras étendus demeura au cœur vert d’une vague, puis plus rien. Avec
sa disparition, la malveillance du vent mourut et la pluie cessa.
La mer nous
secouait toujours, mais l’air s’éclaircit, les nuages passèrent du noir au
gris, puis au blanc cassé, et tout autour de nous, la mer était vide. Il ne
restait plus que notre bateau, et comme Arthur scrutait les vagues grises, je
vis des larmes dans ses yeux. Ses hommes étaient partis retrouver Manawydan,
jusqu’au dernier, tous ses hommes braves sauf nous, si peu nombreux. Toute une
armée avait disparu.
Nous étions
seuls.
Nous avons
récupéré l’espar et ce qui restait de la voile, puis ramé durant le reste de
cette longue journée. Tous eurent bientôt les mains couvertes de cloques ;
j’essayai de prendre ma part de l’effort commun, mais je m’aperçus qu’une seule
bonne main ne suffisait pas pour manœuvrer un aviron, aussi je restai assis à
regarder pendant que nous souquions vers le sud, sur la mer houleuse et enfin,
au soir, notre quille racla le sable et nous gagnâmes péniblement le rivage en
emportant les quelques biens qui nous restaient encore.
Nous avons
dormi dans les dunes et, au matin, ôté le sel de nos armes et compté les pièces
que nous possédions encore. Balig et son Saxon, déclarant qu’ils pouvaient le
sauver, restèrent sur leur bateau ; je donnai ma dernière pièce d’or à mon
beau-frère et l’étreignis, puis nous suivîmes Arthur en direction du sud.
Nous
découvrîmes un manoir dans les collines côtières, et il s’avéra que son
seigneur était un partisan d’Arthur, aussi nous trouva-t-il un cheval de selle
et deux mules. Nous tentâmes de les lui payer en or, mais il refusa. « Je
souhaiterais avoir des lanciers à vous donner, mais
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