Excalibur
sud-est, le vent s’engouffra dans la voile loqueteuse, et
mon estomac se souleva à chaque coup de roulis.
Balig luttait
avec le gouvernail. Nous avions rentré les rames, laissant la brise faire tout
le travail, pourtant la forte marée jouait contre nous et ne cessait de
repousser la proue ronde du bateau vers le sud ; alors, le vent faisait
battre la voile et le gouvernail ployait de façon alarmante, mais lentement l’embarcation
reprenait sa route, la voile claquait comme un grand fouet en se gonflant de
nouveau, l’avant plongeait dans le creux d’une vague, mon estomac se soulevait
et la bile me montait à la gorge.
Le ciel s’obscurcit.
Balig leva les yeux vers les nuages, cracha, puis tira de nouveau sur l’aviron-gouvernail.
La première averse survint, de grosses gouttes qui éclaboussaient le pont et
noircissaient la voile sale. « Rentrez ces bannières ! » cria
Balig. Galahad ferla celle de l’avant pendant que je luttais pour détacher
celle de l’arrière. Gwydre m’aida à la descendre et perdit l’équilibre lorsque
le bateau bascula sur la crête d’une vague. Il tomba contre le plat-bord tandis
que l’eau passait par-dessus la proue. « Écopez ! cria Balig. Écopez ! »
Le vent
devenait plus fort. Je vomis par-dessus la hanche du bateau, puis relevai la
tête pour voir le reste de la flotte lancé dans un cauchemar gris d’eau
tourmentée et d’embruns volant. J’entendis un craquement au-dessus de moi et,
levant les yeux, vis que notre voile s’était fendue en deux. Balig jura.
Derrière nous, le rivage n’était plus qu’une ligne sombre tandis que, plus
loin, éclairées par le soleil, les collines de Silurie verdoyaient ;
autour de nous, tout n’était que ténèbres trempées et inquiétantes.
« Écopez ! »
cria de nouveau Balig, et ceux qui étaient dans le ventre du bateau se
servirent de leur casques pour recueillir l’eau qui menaçait notre cargaison d’objets
précieux, d’armures et de vivres.
Puis la
tempête éclata. Jusqu’alors, nous n’avions souffert que de ses effets
avant-coureurs, mais maintenant le vent hululait sur la mer, la pluie cinglante
frappait dru l’écume des vagues blanchies. Je perdis de vue les autres bateaux,
tant l’averse était dense, et le ciel obscur. Le rivage disparut ; tout ce
que je pouvais distinguer, c’était un cauchemar de vagues courtes, hautes,
crêtées de blanc, dont l’eau volait pour tremper notre embarcation. La voile se
flagella elle-même jusqu’à se mettre en lambeaux qui flottèrent de l’espar
comme des bannières déchirées. Le tonnerre déchira le ciel, le bateau
dégringola de la crête d’une vague et je vis l’eau, verte et noire, monter pour
se répandre d’un plat-bord à l’autre, mais je ne sais comment, Balig plongea la
proue dans la vague et la mer hésita au bord de la coque, puis retomba tandis
que nous nous élevions vers une autre crête torturée par le vent.
« Allégez
le bateau ! » hurla Balig pour couvrir le hurlement de la tempête.
Nous jetâmes l’or
par-dessus bord. Nous nous délestâmes du trésor d’Arthur, et du mien, et du
trésor de Gwydre et de celui de Culhwch. Nous donnâmes tout à Manawydan,
déversant pièces et coupes et chandeliers et lingots dans sa gueule avide, et
il en voulait toujours plus, aussi nous jetâmes à la mer les paniers de
nourriture et les bannières roulées, mais Arthur ne voulut pas lui donner son
armure, ni moi la mienne, aussi nous les cachâmes ainsi que nos armes dans la
minuscule cabine, sous la dunette, et à la place, nous lançâmes les pierres qui
servaient de lest au navire. Nous titubions sur le pont incliné comme des
hommes ivres, secoués par les vagues, nos pieds glissaient dans un mélange d’eau
et de vomis. Morwenna étreignit ses enfants, Ceinwyn et Guenièvre priaient,
Taliesin écopait avec un casque tandis que Culhwch et Galahad aidaient Balig et
le Saxon à amener les restes de voilure. Ils la jetèrent par-dessus bord, espars
et tout, mais attachèrent ces débris à une longue corde de crin qu’ils nouèrent
autour de l’étambot, et la traction du mât et de la voile fit tourner la proue
de notre bateau dans le vent, si bien que nous fîmes face à la tempête et
chevauchâmes sa colère en grandes embardées qui nous faisaient piquer du nez.
« Jamais
vu une tempête arriver aussi vite ! » me cria Balig. Pas étonnant.
Elle n’avait rien d’ordinaire, c’était une fureur
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