Excalibur
temps en temps son ceinturon. Cela l’aurait
dressée, cette putain.
— Maintenant,
il craint la défaite, poursuivit Sagramor, ignorant superbement l’opinion
prévisible de Culhwch. Qu’est-il, sinon un soldat ? Il aime à se prendre
pour un homme bon et croit qu’il gouverne parce qu’il était fait pour cela,
mais c’est l’épée qui l’a porté au pouvoir. Au fond, il sait que s’il perd
cette guerre, il perdra la chose à laquelle il tient le plus : sa réputation.
On se souviendra de lui comme d’un usurpateur qui n’a pas été capable de garder
ce dont il s’était emparé. C’est pour cela que l’idée d’une seconde défaite le
terrorise.
— Argante
pourra peut-être guérir son premier échec.
— J’en
doute, répliqua Sagramor. Galahad m’a dit qu’Arthur n’avait pas vraiment envie
de l’épouser.
— Pourquoi
l’a-t-il fait ? » demandai-je tristement.
Sagramor
haussa les épaules. « Pour contrarier Guenièvre ? Pour faire plaisir
à Œngus ? Pour nous montrer qu’il n’avait pas besoin de sa première épouse ?
— Pour
besogner une jolie fille ? suggéra Culhwch.
— S’il le
fait », dit Sagramor.
Culhwch,
visiblement secoué, regarda fixement le Numide. « Bien sûr qu’il le fait. »
Sagramor
secoua la tête. « J’ai entendu dire que non. Ce n’est qu’une rumeur, bien
sûr, et la moins fiable des rumeurs est celle concernant un homme et son
épouse. Mais je pense que cette princesse est trop jeune au goût d’Arthur.
— Elles
ne sont jamais trop jeunes », grommela Culhwch. Sagramor se contenta de
hausser les épaules. C’était un homme bien plus subtil que Culhwch et cela lui
permettait de mieux comprendre Arthur, qui aimait tant paraître simple et
direct, mais dont l’âme était aussi complexe que les spirales tournoyantes et
les dragons à la queue enroulée qui décoraient la lame d’Excalibur.
Nous nous
séparâmes dans la matinée, nos lances et nos épées encore rougies du sang du
taureau sacrifié. Issa était surexcité. Valet de ferme quelques années
auparavant, il se retrouvait aujourd’hui adepte de Mithra et serait bientôt
père, m’avait-il dit, car Scarach, son épouse, était enceinte. Issa, que son
initiation avait rempli de confiance en lui, semblait convaincu que nous
pourrions battre les Saxons sans l’aide du Gwent, mais je ne partageais pas sa
foi. Je n’aimais peut-être pas Guenièvre, mais je ne l’avais jamais prise pour
une idiote, et ses prévisions d’une attaque de Cerdic dans le sud m’inquiétaient.
L’autre possibilité se tenait, bien sûr ; Cerdic et Aelle ne s’étaient
alliés qu’à contrecœur et ne voudraient sans doute pas se perdre de vue. Une
attaque écrasante dans la vallée de la Tamise serait le moyen le plus rapide d’atteindre
la mer de Severn et de séparer les royaumes bretons, alors pourquoi les Saxons
sacrifieraient-ils l’avantage du nombre qu’ils avaient sur nous pour diviser
leurs forces en deux armées plus petites qu’Arthur pourrait vaincre l’une après
l’autre ? Pourtant, si celui-ci ne s’attendait qu’à une seule attaque et
ne se gardait que contre elle, les avantages d’un assaut mené au sud étaient
incalculables. Pendant qu’Arthur se battrait contre une armée saxonne dans la
vallée de la Tamise, l’autre pourrait lui échapper en contournant son flanc
droit et atteindre la Severn sans presque rencontrer d’opposition. Mais Issa ne
s’inquiétait pas de telles choses. Il se voyait simplement au sein du mur de
boucliers où, anobli par l’accueil favorable que lui avait accordé Mithra, il
faucherait les Saxons comme un fermier son foin mûr.
Le temps
demeura froid après le solstice. Le soleil, dans les aubes pâles et glacées, se
réduisait à un disque rougeoyant voilé par les nuages, au ras de l’horizon. Les
loups venaient récupérer nos détritus jusque dans les terres cultivées, chassant
les moutons que nous avions parqués dans des replis de terrain entourés de
claies, et un jour nous abattîmes glorieusement six bêtes grises qui me
fournirent six nouvelles queues pour les heaumes de ma troupe. Mes hommes
avaient commencé à accrocher ces queues à leurs cimiers dans les forêts
profondes de l’Armorique où nous combattions les Francs : comme nous les
attaquions en prédateurs, ils nous avaient traités de loups et nous avions
tourné cette insulte en compliment. Nous étions les queues de loup, même si
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