Excalibur
moment, il parut sur le
point de discuter, puis il m’ordonna de sortir de la pièce et cria à un esclave
de lui apporter son armure. Je cherchai Lanval, le vieux lancier qu’Arthur
avait mis à la tête des gardes du roi. « Prends tous les chevaux qui sont
à l’écurie, lui dis-je, et escorte ce petit bâtard à Corinium. Tu le remettras
personnellement à Arthur. »
Mordred partit
dans l’heure. Le roi chevauchait en armure, son étendard au vent. Je faillis
lui ordonner d’enrouler ce dernier, car la vue du dragon ne ferait qu’éveiller
encore plus de rumeurs dans le pays, mais peut-être n’était-ce pas une mauvaise
chose de propager l’alarme, car les gens avaient besoin de temps pour se
préparer à partir et cacher leurs biens. Je regardai les chevaux du roi
franchir le portail et tourner vers le nord, puis je rentrai dans le palais où
l’intendant, un lancier boiteux du nom de Dyrrig, criait aux esclaves de
rassembler les trésors. On emporta les candélabres, les pots et les chaudrons
dans le jardin pour les dissimuler dans un puits à sec, tandis qu’on empilait
la literie, le linge et les vêtements sur des chariots pour les cacher dans les
bois. « Les meubles peuvent rester, dit amèrement Dyrrig, les Saxons en
feront ce qu’il leur plaira. »
J’errai dans
le palais et tentai de me représenter les Saïs poussant des cris de joie entre
les piliers, cassant les sièges fragiles et brisant les mosaïques délicates.
Lequel s’installera ici ? me demandai-je. Cerdic ? Lancelot ?
Plutôt ce dernier car les Saxons semblaient n’avoir aucun goût pour le luxe
romain. Ils laissaient à l’abandon des endroits comme Lindinis et bâtissaient à
côté leurs demeures en bois aux toits de chaume.
Je m’attardai
dans la salle du trône, imaginant les murs recouverts de ces miroirs que
Lancelot aimait tant. Il vivait dans un monde de métal poli afin de pouvoir
admirer sans cesse sa propre beauté. Peut-être Cerdic abattrait-il le palais
pour montrer que l’ancien monde des Bretons avait pris fin et que le nouveau
règne brutal des Saxons commençait. Ce moment de mélancolique apitoiement sur
notre ruine fut interrompu par l’arrivée de Dyrrig, traînant sa jambe
estropiée. « Je sauverai les meubles si vous le souhaitez, dit-il d’un air
peu enthousiaste.
— Non. »
Dyrrig s’empara
d’une couverture abandonnée sur une couche. « Le petit bâtard a laissé ici
trois filles dont l’une est enceinte. Je suppose qu’il faut que je leur donne
de l’or. Lui s’en est bien gardé. Qu’est-ce que c’est que ça ? » Il s’était
arrêté derrière le fauteuil sculpté qui servait de trône à Mordred ; je le
rejoignis et vis un trou dans le sol. « Ce n’était pas là, hier », insista
Dyrrig.
Je m’agenouillai
et découvris qu’on avait détaché toute une partie de la mosaïque ; une des
grappes de raisin qui encadraient le motif central, représentant un dieu couché
servi par des nymphes, avait été soigneusement ôtée ; les petits carreaux
avaient été collés sur un morceau de cuir découpé en forme de grappe, et la
couche de briques romaines sur laquelle il reposait gisait maintenant
éparpillée sous le fauteuil. Cette cachette donnait accès aux conduits de l’ancien
chauffage courant sous le sol.
Quelque chose
scintillait au fond ; je me penchai et, tâtonnant dans la poussière et les
débris, je récupérai deux petits boutons en or, un lambeau de cuir et ce que j’identifiai,
avec une grimace, comme des crottes de souris. Je m’essuyai les mains et tendis
l’un des boutons à Dyrrig. L’autre, que j’examinai, portait un visage barbu,
belliqueux, coiffé d’un heaume. C’était un travail grossier, mais que l’intensité
du regard rendait saisissant. « Du travail de Saxon, dis-je.
— Celui-là
aussi, Seigneur. » Son bouton était presque identique au mien. Je regardai
de nouveau dans la cavité, mais ne vis rien d’autre. Mordred y avait sûrement
caché un trésor, mais une souris ayant grignoté le sac en cuir, lorsque notre
roi avait repris le magot, deux boutons en étaient tombés.
« Pourquoi
est-ce que Mordred possède de l’or saxon ? demandai-je.
— C’est à
toi de me le dire, Seigneur », répondit Dyrrig en crachant dans le trou.
Je calai les
briques romaines sur les arceaux de pierre qui soutenaient le sol, puis remis
en place le morceau de cuir et son motif de mosaïque. Je devinais
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