Excalibur
élevé, elle rit et me lança un regard malicieux. « Qu’est-ce
qui m’empêche de m’enfuir, Derfel ?
— Rien,
Dame. »
Elle poussa un
cri de joie, comme une petite fille, et frappa des talons, une fois, deux fois,
pour forcer la jument lasse à galoper. Le vent ruisselait dans ses boucles
rousses tandis qu’elle chevauchait, libre, sur la prairie. Elle cria de
bonheur, en faisant décrire à sa monture un grand cercle dont j’étais le
centre. Sa jupe remontait sur ses cuisses, mais elle s’en moquait, se contentant
de frapper des talons et de tourner, tourner, jusqu’à ce que le cheval souffle
et qu’elle-même se retrouve hors d’haleine. Alors seulement, elle brida la
jument et se laissa glisser de la selle. « Je suis tout endolorie,
dit-elle, contente.
— Vous
montez bien, Dame.
— Je
rêvais de remonter à cheval. De chasser de nouveau. De faire tant de choses. »
Elle remit de l’ordre dans ses vêtements, puis me lança un regard amusé. « Qu’est-ce
qu’Arthur t’a exactement ordonné de faire ? »
J’hésitai. « Rien
de très précis, Dame.
— Me tuer ?
— Non,
Dame », répondis-je, l’air scandalisé. Je menais la jument par les rênes
et Guenièvre marchait à côté de moi.
« Il ne
veut certainement pas que je tombe aux mains de Cerdic, dit-elle d’un ton
acerbe. Ce serait tellement embarrassant pour lui. Je suppose qu’il a joué avec
l’idée de me trancher la gorge. Argante ne doit rien souhaiter d’autre. À sa
place, c’est ce que je voudrais. J’ai réfléchi à cela pendant que je tournais
autour de toi. Supposons, pensai-je, que Derfel ait reçu l’ordre de me tuer ?
Devrais-je m’enfuir sur son cheval ? Puis, j’ai décidé que probablement tu
ne me tuerais pas, même si tu en avais reçu l’ordre. Il aurait envoyé Culhwch,
s’il avait vraiment voulu ma mort. » Soudain, elle grogna et se mit à
marcher les genoux pliés, pour imiter la boiterie de Culhwch. « Lui n’y
aurait pas réfléchi à deux fois avant de m’égorger. » Elle rit, tant sa
belle humeur nouvelle était incontrôlable. « Arthur n’a pas été précis ?
— Non,
Dame.
— Alors,
Derfel, l’idée est de toi ? » Elle montra la campagne.
« Oui,
Dame, avouai-je.
— J’espère
qu’Arthur va estimer que tu as bien fait, sinon, tu auras des ennuis.
— J’ai
déjà mon content d’ennuis, Dame. Notre vieille amitié semble morte. »
À ma voix,
elle comprit ma tristesse car, soudain, elle passa son bras sous le mien. « Pauvre
Derfel. Je suppose qu’il a honte ? »
J’étais gêné. « Oui,
Dame.
— Je me
suis très mal conduite, dit-elle d’une voix chagrine. Pauvre Arthur. Mais
sais-tu ce qui va le rétablir ? Et restaurer votre amitié ?
— J’aimerais
le savoir, Dame. »
Elle retira
son bras. « Mettre les Saxons en pièces, Derfel, voilà ce qui guérira
Arthur. La victoire ! Donne la victoire à Arthur et il redeviendra comme
avant.
— Les
Saxons, Dame, sont déjà à mi-chemin de la victoire. » Je lui rapportai ce
que je savais : que les Saxons se livraient en toute liberté à des actes
de violence dans l’est et le sud, que nos forces étaient éparpillées et que
notre seul espoir consistait à rassembler notre armée avant que les Saxons n’atteignent
Corinium où les deux cents lanciers d’Arthur les attendaient, seuls. Je
présumais que Sagramor faisait retraite vers notre chef, que Culhwch viendrait
du sud et que, moi, je me porterais au nord dès qu’Issa reviendrait avec
Argante. Cuneglas s’était sans doute mis en marche et Œngus Mac Airem se
hâterait vers l’est lorsque les nouvelles lui parviendraient, mais si les
Saxons arrivaient les premiers à Corinium, tout était perdu. L’espoir était
déjà mince, même si nous gagnions la course, car sans les lanciers du Gwent, l’ennemi
nous surpasserait tellement en nombre que seul un miracle pourrait nous sauver.
« Ce sont
des inepties ! s’exclama Guenièvre. Arthur n’a même pas commencé à se
battre ! Nous allons gagner, Derfel, nous allons gagner ! » Sur
ce défi, elle éclata de rire et, oubliant sa précieuse dignité, esquissa
quelques pas de danse au bord du sentier. La fin des temps semblait arrivée,
mais Guenièvre se retrouvait soudain libre, rayonnante de bonheur, et jamais
elle ne m’avait été aussi sympathique que ce jour-là. Brusquement, pour la
première fois depuis que j’avais vu les feux d’alarme
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