Excalibur
mal en point jusqu’au ruisseau et nous les jetâmes dans l’eau
glacée, mais cela ne servit pas à grand-chose. Je ne pouvais qu’attendre, heure
par heure, que d’autres hommes recouvrent leurs esprits. Une vingtaine de
Saxons sobres auraient pu, ce matin-là, dévaster Dun Caric.
Les feux d’alarme
brûlaient toujours pour nous dire que l’ennemi arrivait et j’éprouvais un
terrible sentiment de culpabilité pour avoir si vilainement laissé tomber
Arthur. Plus tard, j’appris que presque tous les guerriers de Dumnonie étaient
ivres morts ce matin-là, et que les cent vingt hommes de Sagramor, restés
sobres, s’étaient repliés docilement devant les armées saxonnes, mais le reste
d’entre nous se traînaient, secoués de haut-le-cœur, le souffle court, et
lapaient de l’eau comme des chiens.
À la
mi-journée, la plupart de mes hommes étaient debout, mais pas tous, et seuls un
très petit nombre semblaient en état d’entamer une longue marche. Mon armure,
mon bouclier et mes lances de guerre furent chargés sur un cheval de bât tandis
que dix mules porteraient les paniers de nourriture que Ceinwyn avait remplis
durant la matinée. Elle attendrait à Dun Caric, soit la victoire, soit, plus
probablement, un message lui disant de fuir.
Puis, peu
après midi, tous mes plans furent changés. Un cavalier arriva du sud sur un
cheval couvert de sueur. C’était Einion, le fils aîné de Culhwch, et il avait
poussé sa monture jusqu’à l’épuisement dans ses efforts frénétiques pour nous
joindre. Il tomba presque de sa selle. « Seigneur », dit-il en suffoquant,
puis il trébucha, retrouva son équilibre et me salua pour la forme. Durant
quelques battements de cœur, il manqua trop de souffle pour pouvoir parler,
puis les mots jaillirent en désordre de sa bouche tant son excitation était
grande ; il avait désiré si ardemment délivrer son message et tant
escompté la dimension dramatique de cet instant qu’il fut totalement incapable
de s’exprimer clairement, mais je compris tout de même que des Saxons avaient
envahi le sud.
Je le
conduisis à un banc et l’y fis asseoir. « Bienvenue à Dun Caric, Einion ap
Culhwch, et répète-moi cela.
— Seigneur,
les Saxons ont attaqué Dunum. »
Alors
Guenièvre ne s’était pas trompée, l’ennemi nous attaquait par le sud. Ils
étaient venus du pays de Cerdic, au-delà de Venta, et avaient pénétré
profondément en Dumnonie. Dunum, notre forteresse voisine de la côte, était
tombée hier à l’aube. Culhwch l’avait abandonnée plutôt que de voir ses cent
hommes écrasés et maintenant, il reculait devant l’ennemi. Einion, aussi trapu
que son père, me regardait tristement. « Ils sont si nombreux. Seigneur. »
Les Saxons
nous avaient dupés. D’abord, ils nous avaient convaincus qu’ils se porteraient
sur les rives de la Tamise, et puis ils avaient attaqué pendant notre nuit de
fête, sachant que nous pourrions prendre les feux d’alarme lointains pour les
flammes de Beltain, et voilà qu’ils étaient maintenant lâchés sur notre flanc
sud. Aelle descendait le fleuve à marche forcée pendant que les troupes de
Cerdic se déchaînaient librement près de la côte. Einion n’était pas certain
que ce dernier menait l’attaque en personne, car il n’avait pas vu son
enseigne, le crâne de loup peint en rouge attaché par des lanières faites de la
peau d’un homme écorché vif, mais l’étendard de Lancelot avec le pygargue
tenant un poisson dans ses serres. Culhwch croyait que ce dernier menait ses
propres partisans en sus de deux ou trois cents Saxons.
« Où
étaient-ils lorsque tu es parti ? demandai-je.
— Toujours
au sud de Sorviodunum, Seigneur.
— Et ton
père ?
— Il
était dans la ville, Seigneur, mais il n’osera pas s’y laisser piéger. »
Ainsi Culhwch
livrerait la forteresse de Sorviodunum plutôt que d’affronter un siège. « Veut-il
que je le rejoigne ?
— Non,
Seigneur. Il a envoyé un message à Durnovarie, pour dire à ceux qui sont là de
partir pour le nord. Il pense que vous devriez assurer leur protection jusqu’à
Corinium.
— Qui est
à Durnovarie ?
— La
princesse Argante, Seigneur. »
Je jurai à
voix basse. On ne pouvait abandonner la nouvelle épouse d’Arthur à l’ennemi et
je compris ce que Culhwch suggérait. Il savait qu’on ne pouvait pas arrêter
Lancelot, aussi voulait-il que je me porte au secours des personnes de valeur
qui se
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