Excalibur
j’accepte ; aussi, déjà à moitié ivre, j’empoignai le
cultivateur, il fit de même, et je pus sentir les relents d’hydromel de son
haleine comme il put sans doute les sentir dans la mienne. Il faisait des
efforts, moi aussi, mais nous n’arrivions ni l’un ni l’autre à nous ébranler,
aussi nous restions là, tête contre tête comme deux cerfs affrontés, tandis que
la foule se moquait du minable spectacle que nous lui offrions. Pour finir, je
renversai mon adversaire, mais seulement parce qu’il était plus ivre que moi.
Je bus encore plus, essayant, peut-être, d’oublier l’avenir.
À la tombée du
jour, je me sentais nauséeux. Je me rendis à la plate-forme de combat que nous
avions édifiée sur le rempart oriental et m’appuyai sur le haut du mur pour
regarder l’horizon qui s’assombrissait. Deux minces volutes de fumée s’élevaient
du sommet de la colline où nous avions allumé nos feux nouveaux, et mon esprit
embrouillé par l’hydromel croyait y discerner une douzaine au moins de bûchers.
Ceinwyn grimpa sur la plate-forme et rit à la vue de mon visage maussade :
« Tu es ivre.
— Oui.
— Tu vas
dormir comme un porc et ronfler de même.
— C’est
Beltain », dis-je pour m’excuser, et je saluai de la main les lointains
panaches de fumée.
Elle s’appuya
sur le parapet, à côté de moi. Elle avait mis des fleurs de prunellier dans sa
chevelure dorée et semblait plus belle que jamais. « Il faut parler de
Gwydre à Arthur, dit-elle.
— Pour qu’il
épouse Morwenna ? demandai-je, puis je fis une pause afin de rassembler
mes pensées. Arthur semble si peu amical en ce moment, peut-être a-t-il dans l’idée
de marier Gwydre à une autre jeune fille ?
— Peut-être,
répondit calmement Ceinwyn, et dans ce cas, il faudra trouver quelqu’un d’autre
pour Morwenna.
— Qui ?
— C’est
exactement ce à quoi je veux que tu penses, quand tu seras plus sobre.
Peut-être un des garçons de Culhwch ? » Elle regarda d’un air
inquiet, dans l’ombre du soir, quelque chose au pied de la colline de Dun Caric.
Il y avait des buissons enchevêtrés en bas du versant et elle avait repéré un
couple très occupé sous les feuilles. « C’est Morfudd.
— Qui ?
— Morfudd,
la fille de la laiterie. Un autre bébé va arriver, je suppose. Il est vraiment
temps qu’elle se marie. » Elle soupira et contempla l’horizon. Elle resta
silencieuse longtemps, puis fronça les sourcils. « Tu ne trouves pas qu’il
y a plus de feux cette année que l’an passé ? »
Je regardai
attentivement l’horizon pour lui obéir, mais, en toute franchise, je ne pouvais
distinguer une traînée de fumée d’une autre. « Peut-être », dis-je
évasivement.
Elle fronçait
toujours les sourcils. « Ou peut-être, ce ne sont pas des feux de
Beltain...
— Bien
sûr que si ! m’écriai-je avec toute la certitude d’un homme ivre.
— Mais
des feux d’alarme », poursuivit-elle.
Il me fallut
quelques battements de cœur pour que la signification de ses paroles m’atteigne,
et alors, elles me dessoûlèrent. J’avais mal au cœur, mais je n’étais plus du
tout ivre. Je regardai fixement vers l’est. Une douzaine de panaches maculaient
le ciel de leur fumée, mais deux d’entre eux étaient plus épais que les autres
et bien trop gros pour être les restes des feux allumés la nuit d’avant, que l’on
avait laissés mourir à l’aube.
Soudain, pris
de nausée, je compris que Ceinwyn avait raison. Les Saxons n’avaient pas attendu
leur fête d’Eostre, mais étaient arrivés à Beltain. Ils savaient que nous
avions préparé des feux d’alarme, mais aussi que pour cette fête nous allumerions
des brasiers rituels sur toutes les collines de Dumnonie, et ils avaient dû
deviner que nous ne pourrions pas distinguer les premiers des seconds. Ils nous
avaient roulés. Nous avions festoyé, nous nous étions soûlés à mort et pendant
ce temps, les Saxons nous envahissaient. La Dumnonie était en guerre.
J’étais le
chef de soixante-dix guerriers expérimentés, mais également de cent dix jeunes
que j’avais entraînés durant l’hiver. Ils constituaient presque un tiers des
lanciers de la Dumnonie, pourtant seuls seize d’entre eux semblaient prêts à se
mettre en marche à l’aube. Les autres étaient ivres morts ou si malades qu’ils
ne tinrent aucun compte de mes jurons et de mes coups. Issa et moi, nous
traînâmes les plus
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