Excalibur
trouvaient au cœur de la Dumnonie et que je batte en retraite jusqu’à
Corinium pendant que Culhwch tentait de ralentir l’ennemi. C’était une
stratégie de fortune, désespérée, et pour finir nous devrions céder la plus
grande partie de la Dumnonie à l’ennemi : il y avait encore une chance que
nous puissions tous nous rassembler à Corinium pour participer à la bataille d’Arthur,
pourtant, en sauvant Argante, je renonçais au plan de mon chef qui aurait
consisté à harceler les Saxons dans les collines du sud de la Tamise. C’était
grand dommage, mais la guerre se déroule rarement selon nos plans.
« Arthur
sait tout cela ? demandai-je.
— Mon
frère fait route pour l’en avertir », m’affirma Einion, ce qui signifiait
qu’Arthur n’était toujours pas au courant. Le messager n’atteindrait pas
Corinium, où Arthur avait passé Beltain, avant la fin de l’après-midi. Pendant
ce temps, Culhwch était perdu quelque part au sud de la grande plaine et l’armée
de Lancelot... où donc ? Aelle marchait sans doute vers l’ouest, et
peut-être Cerdic l’accompagnait-il, ce qui signifiait que, soit Lancelot
continuerait le long de la côte et s’emparerait de Durnovarie, soit il se
tournerait vers le nord et poursuivrait Culhwch jusqu’à Caer Cadarn et Dun Caric.
Dans l’un et l’autre cas, cette région fourmillerait de lanciers saxons dans
trois ou quatre jours.
Je fournis à
Einion un cheval frais et le chargeai d’un message pour Arthur, l’avertissant
que j’accompagnerais Argante à Corinium, mais suggérant qu’il envoie des
cavaliers à notre rencontre, à Aquae Sulis, pour hâter la fuite de son épouse
vers le nord. J’envoyai Issa et cinquante de mes meilleurs hommes à Durnovarie.
Je leur ordonnai de n’emporter que leurs armes afin de chevaucher rapidement,
et j’avertis mon second qu’il pouvait s’attendre à rencontrer sur la route
Argante et d’autres fugitifs de Durnovarie. Il devait les amener tous à Dun
Caric. « Avec de la chance, lui dis-je, tu seras de retour ici demain, à
la tombée du jour. »
Ceinwyn fit
ses préparatifs de départ. Ce n’était pas la première fois qu’elle fuyait à
cause de la guerre et elle savait que ses filles et elle ne pouvaient sauver
que ce qu’elles étaient capables de porter. Il fallait abandonner tout le
reste, aussi deux lanciers creusèrent un trou au versant de la colline et mon
épouse y cacha nos objets d’or et d’argent ; ensuite mes hommes le comblèrent
et remirent les touffes d’herbe en place. Les villageois traitèrent de même les
pots, les pelles, les pierres à aiguiser, les fuseaux, les tamis, tout ce qui
était trop lourd à emporter et trop précieux pour qu’on le perde. Dans toute la
Dumnonie, on enterrait ses biens.
Je ne pouvais
plus faire grand-chose à Dun Caric, sauf attendre le retour d’Issa, aussi me
rendis-je à Caer Cadarn et à Lindinis. Nous entretenions une petite garnison à
Caer Cadarn, non pour des raisons militaires, mais parce qu’il fallait bien garder
notre palais royal. Elle se composait d’une vingtaine de vieux soldats, la
plupart estropiés, et cinq ou six seulement pourraient s’avérer utiles dans un
mur de boucliers, mais je leur ordonnai tout de même de se rendre à Dun Caric,
puis je tournai ma jument vers Lindinis.
Mordred avait
subodoré l’affreuse nouvelle. Les rumeurs circulent à une vitesse inimaginable
à la campagne et, bien qu’aucun messager ne soit arrivé au palais, il comprit
pourquoi je venais. Je m’inclinai et lui demandai poliment de se préparer à
quitter le palais sur-le-champ.
« Oh, c’est
impossible ! » dit-il. Son visage rond trahissait la joie qu’il
éprouvait à voir le chaos menacer la Dumnonie. Mordred se réjouissait toujours
dans le malheur.
« Impossible,
Seigneur Roi ? »
Il montra de
la main la salle du trône pleine de meubles romains, dont beaucoup étaient
abîmés ou avaient perdu leurs marqueteries, mais qui demeuraient beaux et
luxueux. « J’ai des choses à emmener, des gens à voir. Demain, peut-être ?
— Vous
partez à cheval pour Corinium dans une heure, Seigneur Roi », dis-je
inflexiblement. Il était important que Mordred ne tombe pas aux mains des
Saxons, ce qui expliquait pourquoi je m’étais rendu ici au lieu d’aller à la
rencontre d’Argante. Si Mordred était resté, il aurait sans nul doute pu servir
les desseins d’Aelle et de Cerdic, et il le savait. Un
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