Fatima
vacarme, elle perçut le rire de Zayd. Droit sur son méhari, il tenait les rênes de trois chevaux. Elle reconnut la manière qu’il avait de faire tournoyer élégamment sa monture avant de la contraindre à s’agenouiller.
Ainsi, les hommes que Muhammad avait envoyés dans le Sud afin d’attaquer les caravaniers de Mekka étaient de retour ! Ils avaient accompli leur razzia…
Ce jour-là, aucune femme ne vint rendre visite à Fatima. Le soleil disparaissait derrière les collines quand Ali réclama enfin qu’on lui ouvre la porte. À peine les huis furent-ils tirés qu’il bondit dans la cour, chevauchant un cheval râblé à la robe grise et dorée. Sous le regard envieux de Fatima, il ne résista pas au bonheur de montrer la grâce et la vivacité de l’animal : il le poussa dans un bref galop malgré le peu d’espace, tournant habilement autour du tamaris puis, pour finir, il bondit par-dessus la charrette des ânes grâce à laquelle on transportait désormais les jarres d’eau depuis le wadi.
Avant même de sauter de sa selle, le regard en feu, il annonça :
— Zayd l’a pris aux idolâtres de Mekka ! Il me l’offre pour nos épousailles. Il en a offert un tout semblable à notre père !
Exultant de bonheur, il fouilla sa tunique pour en retirer une boîte de bois parfumé.
— Et cela, c’est aussi Zayd qui l’offre à mon épouse !
La boîte contenait un bracelet magnifique, un gros anneau d’argent où l’on avait serti des boules d’ambre et d’ivoire. Un bijou comme Fatima en avait déjà vu, à Mekka, entre les mains des marchands revenus de Ghassan.
Tout à sa joie, Ali insista pour que Fatima le passe à son poignet. Ce qu’elle fit. Mais c’est le cheval qu’elle ne quittait pas des yeux. Ali hésita à peine. Il attrapa la taille de son épouse et la souleva jusqu’à la selle :
— À ton tour ! Essaie-le dans notre cour !
— Ali !
— Ne t’inquiète pas ! C’est ton époux qui te le propose. Qui me reprocherait de vouloir plaire à mon épouse comme bon me semble ?
Fatima était en tunique ordinaire. Elle s’agrippa au pommeau de la selle et, en position d’amazone, lança le cheval au petit trot. L’animal était docile et ne semblait pas peureux. Tout de même, Fatima n’osa pas le pousser au galop, et encore moins sauter comme l’avait fait Ali. Son bonheur était déjà bien assez grand. Quand elle immobilisa sa monture, son visage resplendissait de plaisir. Ali la prit dans ses bras alors qu’elle se laissait glisser à terre.
— Qu’Allah soit mille fois béni de t’avoir créée, murmura-t-il tout contre ses lèvres. ‘Othmân ne cesse de nous rebattre les oreilles avec la beauté de tes soeurs. Par bonheur, il ne connaît rien à la tienne.
Plus tard, à son retour de la prière et du prêche que Muhammad avait adressé aux guerriers victorieux, dans la lumière sourde de la chambre, l’humeur d’Ali se fit plus sombre :
— Le sang a coulé à la razzia. Un mort chez les mécréants.
Il n’avait pas besoin d’en dire plus, Fatima comprit : la lune nouvelle était celle du mois sacré de rajab. Durant ce mois, et selon les lois païennes de Mekka et du Hedjaz, nul ne devait verser le sang, et surtout pas lors d’une razzia.
Ali raconta ce qu’il s’était passé :
— Comment notre père a su que cette caravane se dirigerait vers le sud après avoir feint d’aller en direction de l’ouest, il ne le confie à personne. Mais il le savait. Il a envoyé les nôtres se poster près de Nakhla, sur la route de Ta’if. Si loin de Yatrib que ceux de Mekka ne pouvaient se douter du piège qui leur était tendu. Ils étaient si sûrs d’eux qu’ils ont mené leur caravane sans inquiétude. Des aveugles ! Quand les nôtres ont lancé la razzia, au lieu de s’enfuir en voyant qu’ils n’étaient pas de force, ils ont levé leurs lames. Le sang a coulé.
— Que dit mon père ? demanda Fatima.
— D’abord il a grondé : « Par le Seigneur, je ne vous ai pas demandé de combattre durant le mois sacré !» Sa voix était si pleine de colère que, pour tous, la joie de la victoire s’est transformée en honte. Ensuite il est allé réclamer conseil à son Rabb auprès d’Aïcha. Il a offert son doute et sa faute. Le Seigneur ne l’a pas fait attendre. Il lui a répondu par la voix de l’ange. Si bien que ce soir, au prêche, l’Envoyé a dit : « Le sang du mois sacré est un péché. Mais plus
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