Fatima
visiteuses le savait.
La jeune épouse fut la bienvenue dans les jardins de Yatrib. Elle n’en repartait jamais sans des couffins remplis de fruits et de légumes. Lorsqu’elle remerciait, ses compagnes répondaient :
— Pourquoi nous remercies-tu, Fatima ? Tu es la fille de l’Envoyé. Ta place est tout près d’Allah, et il fait bon vivre à tes côtés.
Un jour, elles répétèrent ces paroles en présence de la tante Kawla et de la mère d’Ali. Kawla applaudit en clignant de l’oeil en direction de la mère d’Ali :
— Ah ! s’exclama-t-elle. Fatima ! Toi qui ne voulais ni époux ni épousailles, vois comme Allah te guide vers le bonheur !
Que l’une et l’autre s’impatientent de la voir devenir mère ne devenait que trop visible. Quotidiennement, elles guettaient le ventre de Fatima, dans l’espoir d’une annonce qui ne venait pas.
Par bonheur, Ali ne faisait preuve d’aucune impatience. Le soir, après la prière, il regagnait la chambre de son épouse. L’assurance ou même l’arrogance qu’il lui arrivait de montrer au-dehors disparaissait alors. Il était attentif et, longuement, dans la petite clarté de la lampe, il aimait relater les nouveautés, les bons et les mauvais événements de la vie des croyants, dont Fatima était désormais tenue à l’écart.
Il levait les mains et disait :
— Notre père nous a demandé, à Zayd et à moi, de recopier tous les rouleaux du Livre que les Juifs de la madrasa veulent bien nous confier ! Mais Zayd est parti mener une razzia contre ceux de Mekka. Je dois écrire pour deux. Regarde mes doigts : la forme du calame s’y est creusée !
C’était vrai. Et la pulpe de ses doigts n’en devenait que plus fine et plus délicate.
Il disait aussi, moitié plaisant, moitié sérieux :
— Notre père joue beaucoup avec Aïcha. À les voir ensemble, nul ne pourrait imaginer qu’ils sont mari et femme. Aïcha possède une mémoire qui n’a rien de naturel. Quand notre père lui enseigne un verset, elle s’en souvient pour toujours. Abu Bakr est si fière d’elle qu’il m’a dit : « Aujourd’hui l’Envoyé te demande de recopier le Livre. Mais quand ma fille Aïcha en saura assez dans la langue des Hébreux pour lire elle-même, tes copies seront inutiles. Il lui suffira de lire le Livre une seule fois pour le connaître par coeur. Muhammad pourra alors puiser la vérité de Dieu en elle comme dans l’eau claire d’un puits. » Tamîn et Omar l’ont entendu. Ils s’en sont beaucoup amusés. Ensuite, ils m’ont confié en soupirant : « Ne prends pas les propos d’Abu Bakr pour des vérités. Quand il s’agit de sa fille, il est sans mesure !»
Un soir, le front soucieux, Ali demanda :
— Te souviens-tu du poète qui avait insulté notre père devant la Ka’bâ ? D’Abu ‘Afak, ce vieillard de Yatrib qu’Abu Lahab avait traîné sur l’esplanade pour qu’il crie en public que le Messager d’Allah n’est qu’un mauvais poète ?
— Aucune chance que j’oublie, fit Fatima. Cette nuit-là, j’ai entendu Yâkût préparer l’attentat contre mon père…
— Eh bien, ce vieux fou prétendument poète est allé aujourd’hui hurler devant les maisons des Banu Qaynuqâ. Il veut les dresser contre les Aws et les Khazraj parce qu’ils nous suivent dans la voie d’Allah. S’il ne tenait qu’à moi, je lui trancherais la gorge.
Fatima sourit dans la pénombre. Elle aimait cette colère d’Ali. Elle lui prit les mains, baisa du bout des lèvres les marques du calame.
Ainsi parlaient-ils de toutes choses, sans jamais évoquer le devoir d’enfant.
La première razzia
Peu de temps après, un matin où elle soufflait sur les braises de son feu, Fatima entendit un tohu-bohu d’appels et des blatèrements de chameaux provenant de l’extérieur. À l’un des angles de la maison, un escalier avait été construit. Il menait à une petite terrasse protégée qui permettait de surveiller les alentours.
Fatima y grimpa. Elle découvrit une quinzaine de méharis montés par des hommes arborant le chèche vert des Soumis d’Allah. Ils encadraient deux ou trois prisonniers, des chevaux sellés sans cavalier et une caravane d’une vingtaine de chameaux lourdement bâtés.
De la maison de Muhammad, comme de partout, de la friche, des chemins et des jardins, accoururent des hommes et des enfants excités. Les salutations et les acclamations joyeuses montèrent jusqu’à Fatima. Au coeur du
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