Fatima
rougeur de fierté qui monta aux joues de Fatima. Une fois de plus, comme il avait pris goût à le faire, il caressa son gros ventre avant de glousser :
— Quand notre père a lancé ces mots, il se trouve que je regardais Abu Bakr. Si tu avais vu sa tête ! Immédiatement il a pensé à Aïcha. Il était furieux ! Il a attendu un moment où il se croyait seul avec notre père pour lui demander : « Muhammad, est-ce vraiment ce que tu penses ? Que ta fille est la seule droite de Yatrib devant Allah ? Ton épouse Aïcha ne l’est-elle pas autant ?» La jalousie lui poussait les yeux hors de la tête.
— Qu’a répondu mon père ?
— Il a posé la main sur l’épaule d’Abu Bakr en disant : « Abu Bakr, Aïcha est une merveille qu’Allah m’a confiée par le chemin de ta vie. Mais elle n’est encore qu’une enfant. Dans quelques saisons, quand elle sera assez femme pour que je rejoigne sa couche, Allah nous dira qui elle est pleinement. »
Le bonheur de cette réponse compensa la peine de Fatima, déçue de ne plus recevoir la visite de son père. Chaque fois qu’elle laissait paraître sa déception, la tante Kawla disait :
— Il est bien trop occupé avec tout ce qu’il se passe en ce moment !
Et la mère d’Ali, avec la maladresse qui la caractérisait, s’empressait d’ajouter :
— Les grands-pères redoutent les naissances autant qu’ils les espèrent. Ils ont vu trop de vies s’éteindre au cours des accouchements et craignent d’avoir le coeur brisé. Sur ce point, l’Envoyé d’Allah est comme tous les autres.
Et, hélas, espaçant ses visites, Ali n’était pas d’un grand réconfort :
— Notre père s’enferme tous les jours avec Tamîn, qui reçoit des messagers de Tabouk. Zayd et Omar murmurent qu’une caravane de Mekka quittera Ghassan avant la fin de la saison. Peut-être durant le mois de ramadan. Selon Tamîn, ce serait la plus riche caravane de Mekka qu’on ait vue depuis longtemps. Notre père parle avec ceux qui veulent combattre. Il sonde leurs coeurs. Il dit : « Allah ne veut pas de guerriers de demi-mesure, ni de bras souillés. » Chaque matin, il participe aux joutes, comme nous tous. Mais il pense à toi. Avant la prière de midi, il me demande toujours : « Comment se porte ton épouse ?»
Le ventre de Fatima devint si imposant qu’elle commença à se déplacer moins aisément. Il lui fut vite difficile de monter sur la petite terrasse d’où elle pouvait contempler les va-et-vient des hommes et des femmes vivant dans les tentes. Pourtant, elle s’obstina : dans ces moments de solitude, loin de l’attention des autres et de leurs babillages, elle jouait avec le bracelet offert par Zayd. Comme un talisman, il lui permettait de s’imaginer parmi ces hommes qui se préparaient au combat.
Hélas, Kawla et la mère d’Ali ne furent pas longues à lui interdire ce plaisir. Elle refusèrent de la laisser monter sur la terrasse. Commencèrent alors ces jours où, sur le visage de toutes les femmes qui venaient la visiter, Fatima pouvait lire la crainte de l’enfantement. Les sourires et les plaisanteries s’effacèrent peu à peu, remplacés par de mauvaises grimaces. Les regards guettaient, s’alourdissaient, fuyaient.
Personne ne prononça le nom de Ruqalya, la soeur morte en couches. Toutes l’avaient cependant en tête, car l’on affirmait que la faiblesse de l’enfantement était une malédiction de famille. Si bien que Fatima ordonna à la tante Kawla :
— Ne laisse plus ces femmes entrer ici ! Elles ne croient pas assez en Allah pour avoir confiance. Je refuse de supporter leurs peurs !
— Fatima, ne sois pas dure avec celles qui ne le méritent pas. Elles t’aiment ! Elles s’effrayent pour toi, qui enfantes pour la première fois.
— Je ne suis pas Ruqalya et je ne l’ai jamais été, tante Kawla. Cessez donc de trembler ! Allah et mon père m’ont voulue épouse. Ce n’est certainement pas pour m’anéantir. Tremblez plutôt pour ceux qui affronteront bientôt la pourriture de Mekka ! Ma bataille est plus aisée que la leur.
Le lendemain au matin, la tante Kawla entra dans la chambre, toute pâle :
— Ils sont tous partis cette nuit pour aller attaquer la caravane des Quraychites, annonça-t-elle, confirmant l’intuition de Fatima. Muhammad a fait un prêche avant que le ciel ne soit clair. Il a dit : « Ceux de Mekka nous ont chassés de nos maisons et nous ont contraints à
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