Fatima
semblaient si étriqués que Fatima se sentait comme dans une tunique mal ajustée.
En outre, dès le lendemain des épousailles, la mère d’Ali vint passer ses journées dans la cour de son fils, s’affairant au four et au lavage. Quand Fatima voulut aller chercher de l’eau au wadi, elle fut immédiatement à son côté.
— Non, non, ne va pas seule ! s’exclama-t-elle. Tu es une épouse ! C’en est fini de faire la fille.
Quand elle jugea la maison achevée, elle annonça à Fatima qu’il était temps d’ouvrir sa porte aux épouses des nouveaux croyants de Yatrib. Nombreuses étaient celles qui désiraient lui rendre visite, ainsi que l’exigeait la tradition. Fatima protesta :
— Elles m’ont vue tous les jours avant les épousailles. Je ne leur ai jamais décoché un mot. Cela ne leur suffit pas ?
La mère d’Ali rit doucement.
— C’était avant. Tu vas voir la différence.
Elle disait vrai. À la surprise de Fatima, dès qu’elles posèrent le pied dans sa petite cour, ces femmes bruyantes et d’habitude si peu attentionnées lui manifestèrent un respect et une déférence inattendus.
Selon la coutume, elles arrivèrent les mains chargées de présents. De la nourriture, surtout, mais parfois aussi un tissage ou un ustensile de cuisine. Elles s’installèrent en rond sous le tamaris et reprirent leurs bavardages sans fin. Soudain, l’une des plus jeunes remarqua :
— Fatima ! Nous parlons, parlons ! Et toi, tu ne dis rien ! Tu écoutes ou tu n’écoutes pas, comment le saurions-nous ?
— Je vous écoute et j’apprends.
— Que peux-tu apprendre de nous, toi, la fille de l’Envoyé ? Nous ne faisons que ratiociner, alors que toi, tu as sûrement beaucoup à raconter !
La surprise et une timidité inhabituelle clouèrent les lèvres de Fatima. Une vieille femme se mit à rire. Elle jeta un regard vers la mère d’Ali, pleine d’embarras.
— ‘Orwa a raison. Fatima bint Muhammad est celle d’entre nous qui a le plus à raconter. Si jeune soit-elle, elle a déjà vécu plus de vies que nous toutes, qui allons de notre couche à la cuisine, et de la cuisine au wadi pour laver le linge. Mais la fille de l’Envoyé n’est ni bavarde ni arrogante. Elle préfère se taire quand, nous autres, nous aimons faire du bruit. Il en va toujours ainsi : ceux du moins s’agitent, ceux du plus aiment le silence.
Il y eut de nouveaux rires, des protestations, puis plusieurs femmes devinrent pressantes :
— Fatima, raconte ! Raconte-nous ! Nos époux sont un jour revenus dans nos maisons en s’écriant : « Un homme de Mekka est arrivé à Yatrib ! Il parle comme aucun autre. Les rabbis juifs assurent qu’il est un nâbi autant qu’Abraham et que Moïse !» Ils étaient aussi excités qu’au retour de la guerre. Et maintenant, nous voici des Soumises au Rabb de ton père, qui est aussi ton Dieu Clément et Miséricordieux. Mais nous, nous ignorons comment tout cela est arrivé. Comment Allah a-t-Il choisi ton père à Mekka ? Nous n’en savons rien !
— Oh, oui, raconte, supplièrent-elles.
— Ne te soucie pas pour le temps et la nourriture. Nous t’apporterons tout ce qu’il te faut à ton époux.
Et ainsi, durant plusieurs jours, Fatima relata aux femmes de Yatrib l’existence à Mekka, depuis ses plus lointains souvenirs.
Quand elle en vint à évoquer comment le Perse Abdonaï lui enseignait à se battre comme un homme, les rires secouèrent si fort les poitrines et les ventres qu’elle dut se taire en attendant que le calme revienne.
Quand elle en vint à parler du Bédouin Abd’Mrah, elle ne put empêcher sa voix de vibrer. Les larmes gonflèrent les paupières de celles qui l’entouraient.
Quand elle rappela comment Ali avait bravé les lames des assassins, leurs yeux brillèrent.
La jeune femme qui, la première, avait remarqué son silence demanda :
— Et maintenant, tu ne te battras plus jamais contre les païens ?
La mère d’Ali répondit trop vite, à la place de Fatima :
— Maintenant, Fatima est une épouse. La vie qu’elle chevauche n’est pas un méhari ou un cheval.
Le double sens de ces mots déclencha une grande hilarité et bien des plaisanteries. Quand les bouches se refermèrent enfin, Fatima laissa peser son regard sur la mère d’Ali.
— La vie que je chevauche, dit-elle d’un ton égal, qui d’autre qu’Allah la connaît ?
Mais ce que la mère d’Ali avait en tête, chacune des
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