Fatima
grave encore est, devant Allah, la sédition des incroyants ! Ceux-là ne sanctifieront aucun mois pour cesser de vous combattre et de vous chasser de vos tentes [30] . »
Ali inclina le front, comme il aimait à le faire après avoir répété les paroles d’Allah et de Son Envoyé. Quand il se redressa, le regard de Fatima était sur lui. Il saisit sur-le-champ ce qu’elle lui signifiait en silence.
— Oui, tu as raison, acquiesça-t-il. Notre père ne l’a pas dit, mais chacun l’a entendu : le temps est proche de la guerre contre Mekka.
Côte à côte sur la couche, leurs yeux brillant dans le peu de lumière, ils se comprenaient. Cela faisait si longtemps qu’ils désiraient se venger de ceux qui les avaient insultés, humiliés, et devant qui ils avaient dû fuir !
Ali savait lire les pensées de son épouse tout autant que les sombres rouleaux du Livre sur lesquels il s’usait les yeux à la madrasa. Il eut un regard plein de tendresse :
— Je sais à quoi tu songes. J’ai vu ton air quand tu as monté mon cheval tout à l’heure. Je le connais, cet air-là, depuis toujours. Tu imagines que ton père pourrait de nouveau avoir besoin de sa Fatima Zahra près de lui. Et peut-être qu’Allah ne s’y opposerait pas. Si cela doit être, moi, Ali, ton époux…
Les doigts de Fatima lui fermèrent la bouche.
— Non.
Elle lui agrippa la main, la ferma en un poing qu’elle posa sur son ventre.
— Allah a décidé de mon devoir. Ce que ta mère attend avec tant d’impatience est arrivé. Comme elle dit : ce n’est pas pour moi le moment de chevaucher un méhari ou un cheval.
Ali hésita, osant à peine comprendre :
— Fatima…
— Mon ventre est plein, mon époux. La lune est passée sans que revienne mon sang de femme.
Un fils !
Que Fatima soit enceinte, les croyants d’Allah, ceux de Mekka comme ceux de Yatrib, l’apprirent très vite. Aussitôt, la mère d’Ali vint habiter dans la maison de son fils. On lui construisit une petite chambre sous le grand auvent.
À la moindre occasion, la tante Kawla et les femmes de Yatrib venaient pépier sous le tamaris. Bientôt, des jeunes filles proposèrent à Fatima de la remplacer dans les tâches les plus ardues. Chaque jour, l’une ou l’autre s’écriait :
— Laisse, fille d’Allah ! Laisse. Ce n’est pas à toi de faire ça !
On apprit alors quelles richesses devaient transporter la caravane que ceux de Mekka préparaient. La nouvelle attisa les rêves de nouvelles razzias, avec la bénédiction d’Allah.
Yatrib se trouvait à un emplacement idéal sur les routes qui reliaient Mekka au très riche pays de Ghassan. Tôt ou tard, les malfaisants de Mekka devraient y faire passer leurs marchandises. Pour les affronter, il fallait recruter de solides combattants, nombreux et bien armés.
La rumeur des ambitions des croyants d’Allah courut sur la poussière du Hedjaz. Nombreux étaient ceux que l’arrogance de Mekka avait humiliés. Et que les guerriers d’Allah aient osé braver la loi du désert interdisant les combats de sang durant le mois sacré de rajab apparut comme une preuve de cette puissance que l’on attribuait désormais à Muhammad.
Des hommes porteurs de lance, de nimcha ou d’arc affluèrent à Yatrib. En moins d’une saison, le vaste terrain nu, déplaisant et stérile qui avait été acheté avec l’aide du Juif ben Shalom en vue d’y accueillir la maisonnée de l’Envoyé se couvrit de monde. On y planta des tentes, serrées entre les maisons des compagnons érigées depuis peu. Cela commençait à ressembler à une bourgade pareille à celles des riches clans juifs, les Banu Qaynuqâ et les Banu Qurayza.
Du haut de sa terrasse, qu’elle ne quittait plus guère, Fatima observait attentivement ce manège. Comme toujours, Ali lui racontait avec force détails ce qu’il en était de cette agitation.
Un soir, alors que Fatima avait remarqué une animation plus vive qu’à l’ordinaire autour de la maison de son père, Ali annonça l’arrivée du dernier des oncles du Messager :
— Abu Hamza ! Lui qui nous couvrait d’insultes à Mekka ! Il a poussé son chameau jusque devant la porte de l’Envoyé. Sans même attendre que sa bête s’agenouille, il a sauté à terre et a couru se prosterner devant lui. Notre père se tenait sous le tamaris. Il dînait avec Abu Bakr, Omar et Tamîn, tout juste de retour de Ghassan. Pour un peu, Abu Hamza aurait pu prendre un mauvais coup.
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