Fatima
Omar a cru qu’il en voulait à la vie de notre père. Il s’est précipité, le poignard hors du fourreau. Abu Hamza s’est roulé dans la poussière comme un ver en hurlant : « Envoyé, Envoyé ! Mon neveu ! Pardonne-moi, pardonne à ton oncle Abu Hamza ! Que ton Rabb ne me foudroie pas. J’ai tant fauté ! S’il te plaît, Muhammad, mon neveu, retiens Omar ! S’il te plaît, Envoyé d’Allah le Tout-Puissant, ne me rejette pas… J’ai tué deux chameaux sous moi pour accourir et me jeter à tes pieds. Je veux me convertir et me soumettre à Allah ! Qu’Il me pardonne !»
Ali se tordait de rire tant il prenait plaisir à singer les suppliques et les grimaces d’Abu Hamza, un homme long et sec comme un palmier sans palme, rusé jusqu’à la sournoiserie, mais redoutable au combat tant il était inconscient du danger.
— Il a si bien gémi et pleuré, reprit Ali, que tout le monde l’a entouré, ravi de la mascarade. Il est toujours aussi vilain, et si maigre qu’on se demande s’il lui arrive de manger. Notre père l’a fait se relever pour le conduire à la prière des convertis. Ensuite, Abu Hamza nous a dit pourquoi il est venu jusqu’ici si précipitamment : ceux de Mekka sont fous de rage contre nous. Qui s’en étonnerait ? Ils ne parlent que de venger la razzia de Nakhla et la vie qui y a été prise. Mais Abu Hamza dit aussi : Abu Lahab ne trouve pas autant de soutiens qu’il l’espérait. Il crie très fort car il est impuissant. Omar a dit à notre père : « Ils ont peur de nous. Poussons notre avantage, Envoyé. Pourquoi attendre ?» Abu Hamza a ajouté : « Oui, c’est pour ça que je vous rejoins. Ils se conduisent comme des pleutres. Abu Lahab menace, mais ce ne sont que des mots. En outre, il me reste encore assez d’oreilles à Mekka pour savoir où passera la richesse des puissants dans les temps à venir !»
Ali, les yeux scintillants, guettait la réaction de Fatima.
— Et qu’a dit mon père ? demanda-t-elle.
— Il a caressé sa barbe, selon son habitude, avant de déclarer qu’il était temps pour lui d’aller raconter des contes à Aïcha avant qu’elle ne s’endorme. Mais on sait ce qu’il pense. Abu Hamza n’a pas la langue fiable. Ce n’est pas devant lui qu’il faut révéler ce que nous déciderons. Si Allah le veut, la première vraie bataille sera pour bientôt.
Allah le voulait. Et même, Il voulut tout ensemble.
Tandis que le ventre de Fatima s’arrondissait, le nombre des tentes s’accrut encore autour de la maison de Muhammad. Jour après jour arrivaient des cavaliers armés qui aussitôt pliaient la nuque pour se convertir. Certains venaient de Mekka, apportant leur lot d’informations ou de mensonges.
— Omar sait reconnaître les bons et les mauvais. Il en rejette autant qu’il en recrute. Même s’il est exigeant, bientôt nous serons deux cents ou trois cents prêts à combattre ! s’exclama un soir Ali avec ravissement.
Reprenant son ancienne habitude de passer ses nuits sous l’auvent de la cour de Muhammad, auprès de Zayd et d’Omar, il cessa de rejoindre Fatima. Ce qui convint très bien à la tante Kawla et à la mère d’Ali.
— Ton ventre devient trop gros, dirent-elles. Ta couche n’est plus celle de ton époux. Elle est déjà celle de ton fils à venir.
— Comment savez-vous que ce sera un fils et non une fille ? se moqua Fatima.
— Nous le savons parce qu’Allah ne peut vouloir qu’un fils pour Ali et pour l’Envoyé ! répliqua la mère d’Ali.
— Vous devriez avoir honte de tant de vanité ! s’écria Fatima. N’entendez-vous pas vos paroles ? On croirait que vous connaissez la volonté d’Allah mieux que Lui-même ! Courez donc implorer Sa Clémence et Sa Miséricorde avant qu’il ne vous foudroie.
Ce qu’elles firent. Puis elles colportèrent partout ces paroles de Fatima, qui impressionnèrent jusqu’à Muhammad. Un soir où il venait prendre de ses nouvelles et lui apporter celles de la grande maison, Ali déclara, après avoir baisé les lèvres et le ventre de son épouse en murmurant des bénédictions :
— Quand il a su ce que tu avais répliqué à ma mère, notre père est allé au-devant des femmes : « Écoutez les paroles de ma fille Fatima et retenez-les. Ce qui sort de sa bouche est pur et pensé selon le voeu de Dieu. Dans tout Yatrib, il n’en est pas une qui soit plus droite dans la volonté d’Allah. »
Ali sourit devant la
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