Fatima
Depuis des semaines, elles vivaient enfermées dans la cour d’Al Arqam, comme des prisonnières. Nuit et jour, le Messager dirigeait leurs prières, tous tournés en direction de la sainte Ka’bâ, comme s’ils étaient encore à Ta’if ! Seuls Abu Bakr, Al Arqam et ses serviteurs osaient s’aventurer dans les ruelles pour se rendre à la Ka’bâ, au marché ou à la mâla.
À chacun de leurs retours, Abu Bakr et Al Arqam se plaignaient des sarcasmes, des insultes et des provocations qu’ils avaient dû endurer. Et, jour après jour, leurs conseils se répétaient. Al Arqam disait :
— Il faut attendre. Abu Lahab continue de répandre son poison. Mais son intransigeance commence à déplaire. Même chez les Makhzum. J’ai bon espoir d’en convaincre quelques-uns de pencher en notre faveur : les excès d’Abu Lahab nuisent aux affaires.
À sa manière tranchante Abu Bakr ajoutait :
— Quoi qu’il en soit, ne sortez jamais de cette cour ! Ils s’en prendraient à vous. Vous risqueriez d’y perdre la vie ! Cela envenimerait la situation : un seul incident, et nous ne pourrions plus rien négocier avec ces mécréants.
C’était vrai. Chaque jour l’on apprenait que de nouveaux croyants d’Allah s’étaient fait conspuer et agresser. Ou pis encore. Une fois, Abu Bakr partit en toute hâte porter secours à l’un de ses anciens esclaves. Deux ans plus tôt, il l’avait libéré. Aussitôt, le serviteur était devenu un fervent d’Allah. Hélas, libre, il se retrouvait sans protection et à la merci des sbires de Yâkût. Il allait subir le même sort que celui d’Abd’Mrah quand Abu Bakr parvint à le racheter comme esclave. Malheureusement, lorsque les domestiques d’Al Arqam le déposèrent dans la cour, il avait déjà perdu tant de sang que, malgré les soins et les prières, il succomba.
Pour beaucoup, il ne restait qu’un seul espoir : la fuite. Loin de Mekka et de la malfaisance des païens. Abu Bakr commençait lui aussi à pencher pour le départ.
— Des gens de Bahreïn sont dans Mekka, annonça-t-il à Muhammad un jour. Ils étaient déjà connus de mon père. Ils viennent t’écouter. Ta parole les séduit. Bahreïn est loin de Mekka, de l’autre côté du désert du Nefoud. Là-bas, on approuve depuis longtemps les mots des prophètes. Les rejoindre ne prendrait pas longtemps. Partons avec eux !
Muhammad écarta la proposition.
— Seul Allah le Clément et Miséricordieux m’indiquera quand partir et où aller. Son signe, je le verrai. S’il veut que nous endurions encore les mauvais de Mekka, nous les endurerons.
Cependant, l’impatience montait. Lorsque Abu Bakr et Al Arqam le lui rapportaient, Muhammad demandait durement en fronçant les sourcils :
— Craignez-vous que le Seigneur nous abandonne ?
Abu Bakr et Al Arqam protestaient. Muhammad devant tous ajoutait :
— Quand le moment sera venu, nous le saurons. Le Seigneur est le Maître du temps et des chemins. Sa puissance et Sa patience sont sans limites. N’ayez pas peur ! Allah le Miséricordieux dit : « Nous n’avons pas fait descendre le Coran sur toi pour que tu sois malheureux [12] . »
Quand Muhammad le Messager parlait ainsi, Fatima s’assombrissait plus encore. À quoi servait-elle, elle, sa fille guerrière, si, au lieu d’affronter les mauvais, son père se transformait en un mur de patience et d’attente ?
Puis, comme le vent se retourne, les jours apportèrent bientôt leur poids de nouveautés.
Un matin, après la prière, Ali s’approcha de Fatima.
— Ma soeur…, balbutia-t-il.
Le mot stupéfia Fatima. Elle observa Ali avec attention, comme si elle ne le reconnaissait plus. Il avait l’air calme, même si ses traits étaient tendus et ses lèvres hésitantes sous sa barbe clairsemée.
Ce mot de soeur, c’était la première fois qu’il l’utilisait. D’habitude, il l’appelait cousine.
— Ma soeur, reprit-il, la voix un peu plus haute. Je te demande de me pardonner.
— Te pardonner ?
— Ne sois pas surprise. Cela fait des jours que j’y pense. Quand je prie, la pensée du Bédouin Abd’Mrah me vient. Chaque fois je sens qu’Allah – puisse-t-Il m’être Clément – n’est pas satisfait de moi.
— Tu dis les choses de manière compliquée, Ali.
— Je dis que j’aurais dû ouvrir les yeux plus tôt. Le Bédouin Abd’Mrah portait la volonté de notre Rabb. Toi, tu l’as vu au premier coup d’oeil. Moi, je n’ai vu
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