Fatima
Enfin, Allah lui annonçait avec certitude que le temps était venu de partir.
Le temps était venu de tourner le dos aux tourmenteurs hypocrites et cruels de Mekka ! De fuir leurs dénégations et leurs blasphèmes païens !
Le temps était venu d’émigrer vers la terre nouvelle de la vie nouvelle !
À Abu Bakr, à tous ceux qui s’affligeaient de la mort de Waraqà, il déclara :
— Ne vous attristez pas ! Prosternons-nous et remercions Allah ! Il nous dicte sa volonté : Mekka n’est plus notre cité. Nous devons prendre la route. Mais dans quelle direction ? Allah le Clément et Miséricordieux ne l’indique pas encore. Nous le saurons bientôt.
La description que Fatima, Zayd et Ali firent du corps de Waraqà impressionna beaucoup Muhammad. Il voulut aller constater par lui-même ce signe d’Allah, avant qu’une sépulture n’accueille le corps du hanif. Abu Bakr s’y opposa. Il le convainquit de s’en abstenir tant qu’Al Arqam et lui-même n’auraient pas négocié auprès de la mâla sa liberté d’aller et venir dans la ville.
Cela leur prit deux jours. Enfin, ils revinrent avec la mine joyeuse de ceux qui ont bien mené leur affaire.
Al Arqam prit un plaisir gourmand à raconter leur victoire :
— Abu Lahab et Abu Sofyan ont refusé que la dépouille du sage soit ensevelie dans le cimetière d’al Ma’lât, commença-t-il. Ils ont protesté : « Jamais Waraqà ibn Nawfal n’a vénéré nos dieux ! Chaque jour de sa vie, il a méprisé Al’lat et Hobal. Qui, ici, se souvient de l’avoir vu tourner autour de la Pierre Noire ? Personne ! Son dieu est un dieu étranger. Celui des Juifs et des chrétiens. Waraqà a corrompu la tête d’ibn Abdallâh. Il n’a pas sa place dans notre cimetière !» Mais, dans les clans des Manâf et chez les Muttalib, beaucoup ont refusé de se plier à cette intransigeance forcenée.
En véritable conteur, Al Arqam se tut un moment, ménageant ses effets, avant de reprendre :
— Ils ont dit : « Certes, Waraqà ne tournait pas autour de la Pierre Noire. Mais sans lui, que serait-elle devenue, quand la maladie nous avait fait fuir Mekka ? Sans sa sagesse et sa bravoure, que seraient devenues la source Zamzam et la Ka’bâ ?»
Abu Bakr l’interrompit :
— J’en ai profité pour rappeler que Waraqà avait été le premier à applaudir ce qui sortait de ta bouche, Messager. Quand tu es redescendu de la grotte de Hirâ, lui t’avait reconnu comme un vrai nâbi , un vrai prophète. Alors, ils ont contemplé leurs semelles comme si elles étaient d’or.
Fait très rare, Abu Bakr se mit à rire.
— J’ai dit : « Muhammad ibn Abdallâh doit pouvoir aller prier et se prosterner devant le corps du sage. C’est la tradition. Abu Lahab veut-il insulter les morts et piétiner nos traditions ?» Ils ont dit : « Non !» Alors, comme on le fait au marché pour avoir deux sacs de grain au lieu d’un, j’ai ajouté : « Ibn Abdallâh devra aussi pouvoir aller au cimetière. Waraqà n’aurait pas voulu entendre d’autre voix que la sienne sur sa tombe, puisque, comme vous le reconnaissez, ni Al’lat ni Hobal n’étaient ses dieux. » Et les voilà qui marmonnent et approuvent encore de la tête !
Abu Bakr, peu habitué à parler si longuement, réclama un peu de lait de chamelle. Puis, toujours souriant, il poursuivit son récit :
— Et donc, j’en ai profité pour exiger un troisième sac… « Puissants de Mekka, ai-je dit, votre sagesse me réchauffe le coeur. Vous avez vos croyances, mais vous respectez ceux qui adorent d’autres dieux que les vôtres. Ce jour est beau ! Il a l’odeur de la paix ! Cependant, si vous jugez que, pour cette occasion, notre Messager peut aller et venir dans Mekka sans qu’un mauvais sort lui soit fait, alors reconnaissez-lui le pouvoir d’aller prier à la Ka’bâ comme il le faisait avant son départ pour Ta’if. »
Al Arqam éclata de rire. Il y avait si longtemps que le rire n’avait pas retenti dans la maison ! Chacun s’en sentit tout ragaillardi. Muhammad lui-même montra son contentement. Sa barbe vibra de satisfaction.
Abu Bakr fut le premier à reprendre son sérieux.
— Ce sac-là n’est pas passé aussi facilement que les deux premiers, reconnut-il. Mais ils s’étaient tellement avancés qu’ils ne pouvaient plus reculer. Voici ce qui est convenu : Messager, de ce jour tu es libre d’aller prier à la Ka’bâ à l’aube et au
Weitere Kostenlose Bücher