Fatima
avait noué la longe de son vieux cheval à sa selle. Plus d’une fois, Zayd lui proposa de le monter.
— Abdonaï en serait heureux, disait-il. Son cheval ne peut être pour personne d’autre que pour toi.
Mais elle ne parvenait pas à s’y résoudre. Elle se sentait bien trop en faute. Une faute immense qu’elle seule connaissait et dont le poids, par instants, lui écrasait la poitrine.
Quand enfin ils arrivèrent en vue de Mekka, le coeur de Fatima se mit à battre si fort qu’elle fut prise de vertige et chancela sur sa selle. Ashemou et Kawla s’inquiétèrent aussitôt :
— Qu’y a-t-il ? Fatima, que t’arrive-t-il ?
Elle ne sut que répondre. Ce qu’elle pressentait, elle ne le comprit que plus tard.
Alors qu’ils entraient dans le défilé d’al Bayâdiyya, une troupe de gamins bédouins dégringola les pentes. Ils accoururent à leur rencontre, entourant le méhari blanc de Muhammad. Après de longues salutations pleines de respect, ils s’écrièrent :
— Messager, tu ne dois pas avancer vers Mekka sans nous ! Les mauvais t’attendent au cimetière d’al Ma’lât. Ils ont des pierres dans les mains. On va te protéger en attendant que le seigneur Al Arqam ibn Abd Manâf vienne se placer devant toi pour entrer dans la ville. Quelqu’un est parti le prévenir de ton arrivée.
Il y eut un moment de confusion, mais pas vraiment de surprise. L’affaire de Ta’if était arrivée aux oreilles d’Abu Lahab et d’Abu Sofyan ! Et c’était bien dans les manières de Yâkût al Makhr de chercher à faire subir à Muhammad le Messager un sort identique à celui d’Abdonaï.
Malgré la mauvaise nouvelle, la vue des jeunes Bédouins allégea le coeur de Fatima. Elle ne doutait pas qu’Abd’Mrah y soit pour quelque chose. Pendant leur séjour à Ta’if, il avait dû surveiller Yâkût et ses mercenaires et éventer leur piège.
Ce malaise qui l’avait prise un instant plus tôt n’était certainement que la crainte de revoir Abd’Mrah. Sans doute allait-il surgir pour se placer près de son père. Apparaître à sa manière à lui, comme sortant de nulle part.
Malgré l’insistance des jeunes Bédouins, qui voulaient attendre le retour de leur compagnon annonçant qu’Al Arqam et ses serviteurs avaient rejoint le cimetière, Muhammad décida d’avancer. Ils allèrent au pas, Fatima guettant les buissons, les sentiers d’où pouvait jaillir Abd’Mrah.
Elle avait eu le temps de se préparer à leur rencontre. Le temps de choisir ce qu’elle lui dirait et ne lui dirait pas. Tout au long du voyage depuis Ta’if, elle y avait pensé mille fois. Il faudrait qu’Abd’Mrah intègre que le Malin s’était moqué d’eux comme s’ils étaient des païens. Ce jeu avec le lac de nuit aux deux étoiles n’était qu’une magie maligne, cela, Abd’Mrah devait le comprendre.
Elle lui dirait brutalement les choses. N’était-elle pas la fille du Messager ? Allah, l’Unique Seigneur du monde, la tenait sous Son regard. Elle devait être aussi irréprochable que son père. Ses pensées devaient être aussi limpides que l’eau de la source Zamzam. Elle ne pouvait se prêter aux jeux ordinaires des filles, comme le faisaient ses soeurs. Elle n’avait qu’un destin, et depuis toujours : être la lame droite et protectrice de son père le Messager. Quand elle manquait à ce devoir, la colère d’Allah devenait terrible. Abdonaï l’avait payé de sa vie.
Lorsqu’ils furent en vue du cimetière d’al Ma’lât, Abd’Mrah ne s’était toujours pas montré. Ce qu’ils entendirent d’abord, résonnant entre les pentes de basalte, puis découvrirent, ce fut la violente dispute entre Al Arqam et Yâkût al Makhr.
Al Arqam était accompagné d’une douzaine de serviteurs bien armés. Lui-même, une nimcha à la main, montait un cheval pie protégé d’un caparaçon de cuir, ainsi qu’on le faisait quand on s’apprêtait à combattre.
Dès qu’il vit approcher Muhammad, il galopa à sa rencontre. Il écourta les salutations.
— La situation est grave, Messager. Depuis ton départ de Mekka, nous n’avons cessé de nous défendre contre Abu Lahab. Il est prêt au pire envers toi, et il sème le feu à chaque occasion. La Ka’bâ et la mâla lui sont acquises. Il a répandu la rumeur que tu avais mis Ta’if à feu et à sang, que tu revenais à Mekka avec une armée de djinns invisibles pour y accomplir le même forfait.
Il eut un geste vers le
Weitere Kostenlose Bücher