Fatima
mercenaire.
— Comme tu le vois, Yâkût et ses hommes sont là. Ils t’attendent pour t’empêcher de pénétrer dans la ville. Je viens de le prévenir que, s’il touchait à un fil de ta tunique, ce serait comme s’il me touchait moi-même. Ce serait la guerre dans notre cité. Abu Lahab n’a pas encore la main sur tous les clans. Bien des Manâf ne t’aiment pas, mais ils me doivent respect et soutien. Pareil pour les al Ozzâ : ils doivent entretenir la mémoire de ton épouse défunte, Khadija bint Khowaylid. Mais à présent, il ne faut pas tarder. Plus vite nous serons dans ma cour, plus vite tu seras en sécurité.
Ce qui fut fait. C’est au trot des chevaux et des chameaux, les lames de nimcha hors des fourreaux, qu’ils se lancèrent dans les ruelles de la cité.
Impuissant, Yâkût al Makhr les regarda filer devant lui en riant et en les insultant, leur promettant de prochaines retrouvailles.
— Gare à toi, Muhammad le Fou ! hurla-t-il dans le dos de Muhammad. Tu cours, tu fuis, mais ton dieu n’est qu’un impuissant entre les cuisses d’Al’lat, et toi pareillement !
Sur son chameau, Fatima avait abandonné à Al Arqam le côté de son père afin de protéger les bêtes portant les palanquins d’Ashemou, de la tante Kawla et des servantes. Elle vit les gamins bédouins se disperser avant d’atteindre le cimetière : ils craignaient la malfaisance de Yâkût. L’un d’eux agita la main dans sa direction comme un signe d’adieu.
Abd’Mrah n’était toujours pas parmi eux.
Dans la cour d’Al Arqam, ils furent sidérés par ce qu’ils découvrirent. Des tentes y avaient été dressées aussi bien qu’au milieu du désert. Une centaine de personnes se précipitèrent sur Muhammad. Dès qu’il fit agenouiller son méhari blanc, elles réclamèrent tout à la fois de lui baiser les mains et d’implorer la clémence et la miséricorde d’Allah.
L’exécution d’Abd’Mrah
Ce n’est que plus tard, dans le quartier des femmes, que Fatima apprit de la bouche volubile de ses soeurs ce qui était arrivé.
Et que l’horreur s’abattit sur elle.
— Tout a débuté quand vous avez quitté Mekka pour Ta’if, commença Omm Kulthum. Les mercenaires d’Abu Lahab et d’Abu Sofyan se sont livrés à une chasse aux fidèles d’Allah. Ils visaient les plus faibles et ceux qu’aucun clan ne protégeait, les insultaient, les menaçaient, les torturaient jusqu’à ce qu’ils crachent sur le nom d’Allah et célèbrent ceux d’Hobal et d’Al’lat. À ceux qui ne se résignaient pas à cette ignominie, ils arrachaient la langue avant de leur trancher la gorge. Le matin, leurs corps étaient jetés aux portes de la ville pour nourrir les hyènes et les oiseaux noirs. Devant tant d’épouvante, Al Arqam a décidé d’ouvrir sa cour aux plus fragiles. Chez lui, ils sont à l’abri.
Ruqalya l’interrompit :
— La rage d’Abu Lahab l’a poussé à faire un exemple terrible. Yâkût s’est lancé à la poursuite du Bédouin qui avait sauvé la vie de notre père devant le grand marché. Il a réussi à le capturer, à le ramener en esclave sur l’esplanade de la Ka’bâ. Là, il a été accusé d’être le corps d’un démon. Yâkût en personne lui a tranché la tête et les membres. Ensuite, il les a fait jeter sur chacune des routes qui conduisent à Mekka.
Fatima se dressa, hurlant :
— C’est d’Abd’Mrah que tu parles ! Veux-tu dire qu’ils ont tué Abd’Mrah ?
Elle s’écroula, inconsciente. Effrayées, Ashemou et Kawla la portèrent dans une petite chambre sans fenêtre. Fatima y resta, tantôt saisie de soubresauts, tantôt aussi rigide et insensible qu’une trépassée. Dans ces moments, Ashemou s’allongeait tout contre elle, l’enlaçait, la serrait sur sa poitrine afin que le froid de la mort ne l’emporte pas. Elle lui murmurait des paroles apaisantes. Mais Fatima n’entendait rien. Après un temps, des chuchotements de délire franchirent ses lèvres.
Au coeur de la nuit, balbutiante et transie de peur, la tante Kawla alla prévenir Muhammad :
— Ta fille s’en va, neveu. Fatima, ton ange de fille qui ne vit que pour toi, s’en va. Les démons l’emportent ! On ne peut pas la retenir. Ils sont forts ! Ils sont si forts, ils la tiennent dans leurs griffes !
Le visage de Muhammad devint livide. Son front et sa bouche se crispèrent de colère.
— Tante Kawla ! Comment peux-tu dire une chose pareille !
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