Fatima
Ils iraient à la mâla réclamer le droit de répliquer.
Fatima devint experte : son bâton frôlait les reins, les mollets ou même la nuque de la folle. Tout juste effleurait-il le tissu de la tunique. Cela suffisait : la folle jetait son sac et fuyait, mugissant des imprécations.
Cette scène se répéta tant de fois que, pendant quelque temps, elle devint un véritable divertissement pour les Mekkois. De plus en plus nombreux, ils vinrent rôder au petit jour pour s’amuser de ce spectacle : la fille du Messager mettant en fuite l’épouse du seigneur Abu Lahab. On s’en esclaffait dans les cours. On en faisait des gorges chaudes dans les ruelles. À la mâla, les plaisanteries s’abattirent sur Abu Lahab. Il était blême de rage. Il donna des ordres. Ses serviteurs interdirent à son épouse de quitter sa maison avant que le soleil ne creuse des ombres bien noires dans la poussière. Les ruelles et les aubes recouvrèrent le calme. Mais longtemps on continua à raconter ces moments de folie.
Toute cette agitation avait de nouveau attiré l’attention sur le Messager d’Allah. Nombreux furent ceux du Hedjaz qui entendirent parler de lui, de sa parole et de la haine que les puissants de Mekka lui vouaient. Désormais, à chaque occasion, marchés et fêtes des dieux païens, ils s’amassaient à la Ka’bâ dès l’aube, près du mur où Muhammad priait. La plupart pour se distraire, pour assister, qui sait, à une bagarre, ou pour voir la fille de l’Envoyé manier le bâton. Comme le plus souvent il ne se passait rien, ils étaient déçus. De dépit, ils crachaient dans la poussière avant de partir.
D’autres, en revanche, éprouvaient une curiosité moins malsaine. Comme ils connaissaient les conditions fixées par les clans pour les prières du Messager, ils évitaient de lui parler et de le questionner. L’écouter leur suffisait. Certains demeuraient tout le temps de son recueillement. Parfois, ils revenaient le soir ou le lendemain. Chaque jour, ils s’initiaient un peu plus à la parole et à la volonté d’Allah le Clément et Miséricordieux. D’autres encore, plus nombreux, il faut l’avouer, finissaient par secouer la tête avant d’aller déposer leurs offrandes au pied de leurs idoles.
Fatima surveillait ce manège de près. Elle en apprenait beaucoup sur les comportements des uns et des autres. Surtout, elle en vint à comprendre et à admirer la manière que son père avait d’enseigner sans enseigner. Aucune de ses paroles n’était inutile. Aucune de ses prières perdue. Elle-même en vint ainsi à savoir par coeur toutes les sourates. Et quand son père, au cours de ses retraites nocturnes, avait reçu de l’ange Gabriel de nouvelles paroles de son Rabb, elle n’avait plus à les apprendre de la bouche de Zayd ou d’Ali. Elle les connaissait avant eux.
Une nuit où ils revenaient paisiblement de la Ka’bâ, elle le confia à son père. Il posa une main sur ses cheveux.
— Les mots sont des oiseaux, dit-il. Si tu sais ouvrir leur cage, ils trouvent toujours où aller. Et tu peux leur faire confiance : ils connaissent les meilleurs nids.
Et c’est ainsi qu’ils trouvèrent le coeur de Moç’ab ibn Omayr.
La conversion de Moç’ab ibn Omayr
Un après-midi, Al Arqam revint dans la cour plein de gaieté.
— Envoyé, un homme se tient dans la Ka’bâ et récite tes paroles à qui veut les entendre ! s’exclama-t-il. Là, en plein jour ! Il récite ce qu’il a appris en t’écoutant prier, Messager. Il possède une voix qui enchante. Il est souriant et doux. À ceux qui l’approchent, il fait un salut des plus gracieux. Il leur dit : « Asseyez-vous, je vous en prie, et écoutez le message. S’il vous plaît, acceptez-le, sinon ne vous en souciez pas !» Ensuite, il récite tes paroles. Et sa voix… on ne peut s’empêcher de l’écouter.
Muhammad se montra aussi ravi que réservé. Abu Bakr voulut aller sur-le-champ rencontrer cet homme.
— Attends, attends, fit Muhammad. Les actes de cet homme, c’est une affaire entre Allah et lui. Il n’est pas temps de s’en mêler.
Le soir, pourtant, la curiosité emporta Al Arqam. Il accompagna Muhammad et Fatima jusqu’à la Ka’bâ. L’homme y était. Très jeune, il portait une tunique et un manteau soignés qui révélaient sa bonne naissance. Sa face, large et presque imberbe, était claire et simple comme une source. Quand il vit le Messager approcher pour sa prière du soir, il
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