Fatima
acheva le verset qu’il récitait, puis remercia ses auditeurs en s’inclinant très bas. Sans un mot de plus, il vint se placer à portée de voix de Muhammad pour apprendre, jusque tard dans la nuit. Le lendemain, il était capable de réciter les versets qu’il ignorait la veille, aussi longs fussent-ils.
Ce n’est qu’une lune plus tard qu’il donna son nom : Moç’ab ibn Omayr.
— Tu ne me connais pas, bien que je sois du clan des Hashim, comme toi, dit-il à Muhammad. Je viens de passer plusieurs années dans Ghassan. J’ai entendu parler de toi, le Messager de Mekka. L’envie de t’écouter m’est venue aussitôt. J’ai réglé mes affaires, et me voici. Je n’ai pas voulu te déranger. Ta parole, qui est celle d’Allah venue dans ta bouche par la grâce de l’ange, me comble. Cela suffit à ma vie.
Muhammad, le prenant dans ses bras, s’écria, très ému :
— Il y a longtemps que le Tout-Puissant ne m’avait pas fait un aussi beau présent !
— Tout ce que tu voudras me demander, dit encore Moç’ab, demande-le. Mes pas seront toujours dans les tiens. Je sais les conditions qui te sont faites par la mâla. Moi, je ne me soumets à rien et je ne crains personne. S’il m’arrivait quelque chose, aussitôt ma famille réclamerait le prix de mon sang.
— Ce que je voudrais te demander, répondit le Messager, tu ne peux pas me le donner. Allah le Clément et Miséricordieux n’a permis qu’à un homme de chanter Sa parole avec tant de beauté et de poésie. Cet homme, c’est toi, et nul autre.
De ce jour, ceux qui venaient sur l’esplanade de la Ka’bâ y entendaient Moç’ab le jour et Muhammad à l’aube et au crépuscule.
Ce fut dans ce moment que Ruqalya prouva enfin qu’elle n’avait pas menti en prédisant que le bel ‘Othmân ibn Affân ne rêvait que de la prendre pour épouse, dût-il pour cela se soumettre à Allah.
Cela arriva précisément un des premiers jours de pluie d’automne, de la plus étrange manière, alors que Muhammad revenait de la Ka’bâ, comme chaque matin.
À cause du mauvais temps, Bilâl accompagnait Fatima. Il protégeait le Messager d’un petit dais de toile tendu entre deux tiges de palme. Ils étaient encore dans la grand-rue, se frayant un chemin entre les commerçants qui les regardaient d’un air entendu. Soudain, ‘Othmân ibn Affân fut là, à leur côté. Il s’était recouvert d’un grand manteau de laine brune très semblable à celui que portait depuis toujours Muhammad. Dessous, sa ceinture brillait de perles d’or et le fourreau de sa nimcha était bien visible.
Fatima se plaça devant lui, le bâton déjà levé, prête à le mettre en garde. ‘Othmân, tout ruisselant de pluie, le chèche alourdi sur le front, leva les paumes.
— Soeur ! s’exclama-t-il. Ne dresse pas ton bâton contre moi. Plus personne dans Mekka n’ignore que tu sais fort bien t’en servir.
Puis il se tourna vers Muhammad :
— Je t’approche pour te servir, Muhammad ibn Abdallâh. Si tu le veux bien.
Sans un mot de plus, il retira des mains de Bilâl les tiges soutenant le dais. Il se posta derrière l’épaule de Muhammad, ainsi que le ferait un serviteur.
Muhammad se retourna pour lui faire face :
— Que fais-tu, ‘Othmân ibn Affân al Omayya ? Ne sais-tu pas que chacun, ici, te voit me protéger de la pluie ? Nous n’aurons pas terminé de parler que déjà tout Mekka se moquera de toi. Ton cousin Abu Sofyan se fâchera. Il t’insultera. Lui, ainsi que tout ton clan.
— Les Omayya ne sont pas tous des mécréants, Envoyé d’Allah. Quant à Abu Sofyan, laissons-le dire : il parle plus qu’il ne pense. Ne t’inquiète pas, il n’est ni ma bouche ni mes oreilles. Je sais ce que je fais. Et pourquoi.
Muhammad l’observa attentivement.
— S’il en est ainsi…, dit-il seulement.
Leur étrange cortège se remit en marche. Bien qu’il fût évident qu’il touchait les tiges d’un dais pour la première fois de sa vie, ‘Othmân fit de son mieux pour protéger Muhammad des trombes d’eau. Bilâl et Fatima échangeaient des coups d’oeil. Malgré le mauvais temps, sur les bas-côtés des ruelles et sur les seuils des cours, les faces sidérées des curieux se multipliaient.
‘Othmân n’attendit pas d’atteindre la maison d’Al Arqam pour révéler ce qui lui brûlait la langue.
— Messager, fit-il tout bas en marchant, la voix pleine de circonspection. J’ai dit un jour à ta
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