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Faubourg Saint-Roch

Titel: Faubourg Saint-Roch Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Jean-Pierre Charland
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respirer, interdite. Ne sachant pas du tout comment réagir, car de pareilles situations ne s'étaient produites que dans les rares coins sombres où le hasard l'avait conduite avec des jeunes gens aussi effarouchés qu'elle, elle demeura coite.
    «Si elle ne dit pas un mot, c'est sans doute que cela lui plaît», se dit Thomas. Mine de rien, il continua:
    —    Il s'agit d'indiquer soigneusement toutes les entrées d'argent, comme toutes les sorties.
    La jeune secrétaire acquiesça d'un signe de tête, prononça d'une voix blanche :
    —    La première colonne sert à indiquer la date ; la seconde, l'opération; la troisième, le cas échéant, le numéro du chèque...
    Ces mots se révélaient totalement inutiles, puisque chacune des colonnes des pages de ce registre portait un titre imprimé. Tout au plus cherchait-elle à retrouver un semblant de contenance. Toutefois, ces paroles superflues pouvaient aussi être perçues comme l'expression de son désir de conserver le contact.
    —    C'est ça, conclut l'homme en se relevant un peu.
    Si son corps s'éloigna légèrement de celui de la secrétaire, sa main, toujours aussi légère, glissa jusqu'à l'arrière du cou. Du pouce, Thomas esquissa une caresse juste à la lisière des cheveux, en observant le visage de la jeune femme. Ses yeux se fermèrent brièvement, les lèvres s'entrouvrirent pour aspirer une goulée d'air. Peut-être était-ce dû à son imagination, mais il lui sembla apercevoir les pointes des seins marquer le tissu du corsage.
    « Plutôt vive, la donzelle », pensa-t-il. Un peu à regret, car quelqu'un pouvait survenir à tout moment, sa main abandonna la peau si douce, puis il s'éloigna d'un pas.
    —    Vous croyez que cela ira ?
    —    ... Je pense que oui. Mais toutes ces additions...
    —    Au début, je les referai après vous. Mais très vite, je devrai avoir la preuve que je peux vous faire confiance.
    Sur ces mots, avec l'espoir que son érection demeurât discrète, l'entrepreneur regagna son bureau. Pendant un long moment, il resta songeur, un peu gêné de son audace, en même temps plus excité qu'il ne l'avait été depuis longtemps. Si une prostituée se laissait prendre sans pudeur, écartelée sur un matelas toujours crasseux, aucune n'acceptait une simple caresse dans le cou. Qu'aurait-elle fait si ses lèvres avaient suivi la main, dans un baiser léger d'abord, puis accompagné de petits coups de dents ?
    —    Elle aurait gémi comme une amoureuse, conclut-il dans un murmure.
    Plutôt que de se reprocher un geste aussi compromettant avec une jeune employée, il préférait se convaincre que non seulement sa caresse avait été bien accueillie, mais que la jeune fille l'attendait depuis toujours. Quand il se remit enfin au travail, Thomas n'était pas loin de croire que la nouvelle garde-robe de sa secrétaire et cette façon si exquise de placer ses cheveux visaient à le séduire.
    De l'autre côté de la cloison, les tempes bourdonnantes, Marie demeura un long moment interdite, comme frappée de stupeur. Rien dans sa vie antérieure ne lui avait enseigné comment réagir à une situation pareille. Pire, elle ne connaissait personne avec qui aborder le sujet. Au fond, le dernier individu à qui se confier était son propre frère, Emile Buteau. Le premier réflexe de celui-ci serait de la condamner, quelles que soient les paroles prononcées. En réalité, depuis Eve, tous les prêtres ne présentaient-ils pas toutes les femmes comme des tentatrices perfides placées sur le chemin des hommes pour les faire faillir ?
    La jeune femme chercha un travail routinier à effectuer, car sa fièvre l'amènerait à multiplier sans cesse les erreurs.
    La liste des «J'aurais dû» tourbillonnait dans son esprit. «J'aurais dû lui dire de s'éloigner dès qu'il s'est approché de moi», commença-t-elle. Mais comment justifier pareille attitude ? Le patron ne pouvait pas lui montrer à tenir des livres en se réfugiant à l'autre extrémité de la pièce. «J'aurais dû lui dire de ne pas me toucher», dès le moment où la paume de sa main avait effleuré l'épaule. «J'aurais dû le gifler», quand la main avait caressé le cou.
    Mais aucun de ces mots n'avait franchi ses lèvres, aucun de ces gestes ne s'était produit. Le «Je devrais» ne lui apportait aucun réconfort non plus.
    — Je devrais me lever, frapper à la porte, me camper devant son bureau et lui dire de ne jamais me toucher de nouveau,

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