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Faubourg Saint-Roch

Titel: Faubourg Saint-Roch Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Jean-Pierre Charland
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moment de se coucher, un peu avant dix heures, l'homme se souvint de la confidence nocturne de sa mère, quelques heures après la douloureuse agression dont il avait été victime. Le bougeoir à la main, il chercha un moment sur le plancher, se déplaçant sur ses genoux. Aucune planche ne bougeait. Cependant, une seule d'entre elles était vissée en plein milieu. Cette précaution attira son attention.
    Toujours avec son bougeoir à la main, au risque de faire penser aux voisins qu'un voleur se trouvait dans la maison, il chercha le vieux coffre à outils du paternel, trouva un tournevis antique, puis revint s'attaquer à la fameuse planche de pin. Après l'avoir soulevée, il découvrit un trou creusé dans la poutre supportant le plancher, sans doute à l'aide d'un ciseau à bois. Un sac de cuir amassait la poussière, vraisemblablement depuis plusieurs années.
    Avec précaution, Alfred l'ouvrit pour en répandre le contenu sur la commode. Une bonne quantité de pièces d'or accrochèrent la lumière vacillante de la chandelle. Il y avait aussi une petite liasse de billets de banque. Il reconnut des livres anglaises, la monnaie de la métropole, comme si le couple de commerçants ne faisait pas tout à fait confiance aux dollars canadiens.
    —    Les vieux fous, grommela l'homme entre ses dents. Bien sûr, ils se méfiaient des banques, mais ces petites économies auraient pu flamber dans l'un des incendies si fréquents dans la Basse-Ville.
    Le fait de garder ainsi des pièces d'or témoignait d'une mentalité inquiète, comme si une guerre ou une révolution risquait de faire perdre d'un coup toute sa valeur à la monnaie de papier. Ils avaient connu les menaces d'invasion des féniens, et surtout des Américains à la fin des années 1860, et les désordres ouvriers de 1878. Ces turbulences avaient sans doute frappé leur imagination. Leur prudence exagérée avait toutefois risqué de priver l'héritier de ce petit pécule.
    —    Damnée Euphrosine ! Si l'émotion ne l'avait pas amenée à me faire une confidence alors que je me trouvais abruti par l'opium, j'aurais vendu la maison sans jamais savoir que ces épargnes se trouvaient sous le plancher.
    Alfred remit le sac de cuir à sa place, revissa la planche dessus. Lui non plus n'en parlerait pas. Jamais l'idée d'en discuter avec Thomas ne l'effleura. La maison et les biens personnels de la veuve lui revenaient. Cela comprenait les petits trésors cachés.
    Finalement, la routine du travail de secrétaire s'imposait à Marie. A la mi-septembre, la correspondance ne recelait plus aucun mystère pour elle. Thomas Picard commença donc à l'initier à celui de la tenue de livres. Tous les deux avaient convenu que le samedi après-midi était propice à ce genre d'initiation, d'autant plus qu'il était possible de prolonger un peu les échanges en soirée.
    Un immense registre relié de toile verte se trouvait ouvert sur le bureau de la jeune fille, Thomas se tenait debout tout près d'elle, une proximité un peu gênante.
    — Bien sûr, la comptabilité en partie simple est... plus simple, son nom le dit. Mais tout de même, mieux vaut nous en tenir à des livres en partie double. Cela signifie que chaque opération est comptée deux fois : un compte est crédité d'un montant donné, et un second compte est débité d'un montant équivalent.
    L'homme posait une main sur le dossier de la chaise de la secrétaire et, penché un peu sur elle, montrait du doigt les colonnes de chiffres. Depuis quelque temps, Marie jouait d'audace avec sa chevelure, soit en soulevant ses cheveux vers le haut grâce à un assortiment d'épingles, soit en faisant accomplir un cercle complet à l'arrière de sa tête à sa lourde tresse. Dans les deux cas, elle dégageait une nuque pâle, à la peau d'une douceur infinie, où les quelques cheveux échappés à la construction complexe formaient comme une mousse. Le cou très fin et les oreilles bien dessinées s'offraient ainsi à la vue et aux caresses.
    —    Chaque colonne est additionnée, et les totaux sont transcrits à la page suivante.
    L'homme se pencha encore un peu plus contre elle, afin de tourner la page. Dans son mouvement, sa main gauche quitta le dossier de la chaise pour se poser, légère, dans le dos de la jeune femme. Les épaisseurs successives du sous-vêtement de coton et du chemisier de lin laissaient très bien passer la chaleur et de la main, et de l'épaule.
    Marie cessa un moment de

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