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Faubourg Saint-Roch

Titel: Faubourg Saint-Roch Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Jean-Pierre Charland
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dans vos nouvelles fonctions ?
    —    Bien, j'espère, murmura-t-elle timidement, une soudaine lourdeur au bas-ventre.
    —    J'espère que mon frère ne joue pas au butor. Parfois, il peut se révéler pénible...
    Tout d'un coup, elle se demanda si Thomas Picard avait pu discuter de la situation avec le chef de rayon. Elle n'était pas innocente au point d'ignorer que les hommes se vantaient entre eux de leurs prouesses amoureuses, réelles ou imaginaires, passées ou à venir. Puis l'idée lui parut absurde.
    La longue hésitation de la jeune femme incita néanmoins son compagnon à insister:
    —    Dans l'éventualité où le roi du commerce de détail vous ferait des misères, vous me le diriez, n'est-ce pas ?
    —    ... Ce n'est pas cela. Seulement, j'ai un peu de mal avec les additions... et sans doute aussi avec les soustractions,
    —    Sa fameuse idée de vous demander de tenir les livres...
    Elle se sentait d'autant plus vulnérable à ce sujet qu'à
    l'école, les religieuses passaient rapidement sur cette matière peu féminine, pour se concentrer sur l'apprentissage de la langue. De leur côté, les frères enseignants qui avaient formé Fulgence Létourneau plaçaient la comptabilité au cœur des leçons destinées aux garçons.
    —    Si jamais je peux vous être utile dans ce domaine, n'hésitez pas. Je serais heureux de vous consacrer quelques soirées, si vous le voulez. Nous pourrions additionner au coin du feu.
    Un moment, Marie imagina que cet homme aussi en voulait à son entrejambe. L'instant d'après, elle oubliait cette inquiétude ridicule.
    —    Si vous en êtes à chercher des loisirs de ce genre, j'en conclus que vous devez trouver votre maison bien grande, depuis le décès de votre mère, fit observer la jeune femme après que le serveur eut déposé les assiettes devant eux.
    —Je croyais être plutôt solitaire, mais je me leurrais sur moi-même...
    —    Il y a pourtant cette domestique, Gertrude, je crois.
    Tout en avalant une bouchée, l'homme fit un signe d'assentiment de la tête. Après un moment, il précisa :
    —    C'est bien son nom. Mais voyez-vous, il s'agit d'une personne tenant beaucoup aux convenances et à sa bonne réputation. Elle dépose la nourriture devant moi et court se réfugier dans la cuisine, comme si elle craignait que je devienne entreprenant. Une dame ne peut cohabiter avec un homme sans que cela ne prête aux qu'en-dira-t-on.
    —    Votre mère vous manque beaucoup ?
    Tout en mangeant, Alfred soupesa la question, puis admit :
    —    Assez curieusement, oui, elle me manque. C'est qu'au fil des ans, sa présence silencieuse, son visage continuellement maussade, prenaient toute la place.
    —    Elle était si maussade que cela ?
    —Je ne me souviens pas d'avoir vu un sourire sincère sur son visage. Si elle souriait, c'était pour exprimer quelque chose du genre: «Je savais bien que tu ne réussirais pas.»
    Comme pour compenser, Marie lui adressa le sien, sans arrière-pensée, à la fois timide et charmant.
    —Je vous comprends, reprit-elle bientôt. Moi aussi, depuis la mort de mes parents, je me sens bien seule. Les gens de la maison de chambres ne comptent pas vraiment.
    —    Vous avez encore votre frère...
    —    C'est mon visage maussade à moi...
    Pendant quelques minutes, l'automne qui commençait tout juste meubla la conversation. L'évocation des répétitions de la chorale occupa ensuite le couple. Puis le chef de rayon revint à leur premier sujet :
    —    Comme nous nous ennuyons tous les deux à quelques centaines de pieds l'un de l'autre, le mieux serait que je vous loue une chambre chez moi. Le soir, nous pourrions faire des additions... et si vous êtes sage, des soustractions.
    —    ... Comme votre domestique vous l'a déjà expliqué, ces choses-là ne se font pas.
    —    Oui, bien sûr, les convenances.
    Les solutions les plus simples n'étaient donc pas toujours les meilleures. Quand ils quittèrent le restaurant tous les deux, Alfred prit son bras sous le sien, et au moment où ils approchaient du magasin, il le passa autour de sa taille. Cette familiarité paraissait tout au plus rassurante pour sa compagne, alors que le simple fait de se rapprocher du troisième
    étage de l'édifice lui vrillait le ventre.
    Si elle avait vu Thomas Picard à la fenêtre, son malaise se serait accru d'un cran. « Sacrebleu ! Après toutes ces années, je me découvre des

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