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Faubourg Saint-Roch

Titel: Faubourg Saint-Roch Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Jean-Pierre Charland
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sinon... songea-t-elle.
    Sinon quoi ? Des yeux, Marie parcourut la petite pièce où elle se trouvait, pencha la tête pour voir sa jupe, son chemisier. Elle fit mentalement le tour de sa maison de chambres. Ce petit confort demeurait des plus précaires. Protester, c'était s'exposer à un renvoi sur-le-champ, ou alors à la première addition erronée.
    Quelle possibilité lui resterait-il ensuite? Chercher un nouvel emploi de vendeuse dans un commerce de la rue Saint-Joseph? Personne n'embaucherait une femme chassée de chez Picard, par solidarité entre patrons. Faire le tour des manufactures de la Basse-Ville? Elle savait n'être pas bien robuste, et puis de toute façon le chômage augmentait toujours au retour de la mauvaise saison. Les employeurs ne recrutaient plus, ils s'apprêtaient plutôt à faire des mises à pied. Un moment, elle songea à aller attendre Yvonne à la sortie de la Dominion Corset, pour la prier de lui présenter son contremaître. La honte la retint.
    Surtout, une autre pensée, plus troublante encore, l'assaillait, pour la projeter dans la plus grande perplexité. Cette main chaude et forte contre son épaule, puis sur son cou, l'avait plongée dans un trouble à la fois effrayant et délicieux. Un homme de la stature de Thomas Picard la trouvait attirante... L'ambiguïté de ses sentiments tenait à sa longue privation de tendresse, à sa terrible solitude et à son corps jeune, réceptif au plaisir.
    Rien ne semblait avoir changé entre eux. Le lundi suivant, Marie retrouva la routine habituelle des lettres prises en dictée à six pieds au moins de distance du patron. Celui-ci s'approchait parfois tout près alors qu'elle se trouvait assise à sa place, pour lui montrer quelque chose, mais il gardait prudemment ses mains pour lui. La jeune femme chercha un mauvais présage dans cette nouvelle retenue.
    Bien sûr, tous les deux demeuraient fébriles, et quand la proximité devenait trop grande, un curieux courant électrique, fait d'excitation contenue, courait entre eux.
    La salle à manger de la maison de la veuve Picard, rue Saint-Dominique, n'avait jamais eu une allure festive. Alfred ne se souvenait pas d'un repas vraiment agréable. Très jeune, il avait entendu ses parents discuter commerce entre eux; ensuite, il avait participé à ces conversations. Son manque d'enthousiasme lui attirait déjà des regards chargés de reproches. Quand Thomas, de cinq ans son cadet, avait affiché un intérêt très précoce pour les affaires, les deux parents s'étaient montrés soulagés d'avoir enfin trouvé une relève.
    La pièce elle-même ne payait pas de mine. Son étroitesse conférait aux meubles une impression de lourdeur, de sévérité. Une autre croix noire, celle-ci de dimensions plus modestes, témoignait de l'engagement du couple Picard envers la tempérance. Cela n'avait pas empêché Théodule de vendre de l'alcool à son magasin général. Sa propre vertu lui permettait de faire des économies, le vice des autres rapportait des profits. Une combinaison somme toute idéale.
    Au bout d'une table qui n'aurait pas déparé le réfectoire d'un petit couvent de campagne, Alfred prenait ses repas seul. Au moment du souper, exactement deux semaines après la mort de sa mère, il avait déclaré à Gertrude, alors que celle-ci servait la soupe :
    —    C'est tout de même ridicule de dresser deux tables. Je pourrais tout aussi bien manger avec vous dans la cuisine.
    —    ... Voyons Monsieur, cela ne se fait pas !
    La domestique qui, dès le jour des funérailles, s'était inquiétée du fait que leur cohabitation fasse jaser, ne céderait certainement pas devant une pareille lubie. Les domestiques ne mangeaient pas avec les maîtres, mais dans la cuisine, les restes de ces derniers.
    L'homme n'insista pas. Après son repas dans une salle à manger lugubre, il passa dans un salon guère plus gai, pour s'installer, un roman à la main, dans le fauteuil à proximité du foyer, habituellement occupé par la veuve. Souvent, il demeurait plutôt debout devant la fenêtre, pris d'une irrésistible envie d'aller s'entraîner au YMCA ou de s'encanailler à la salle de billard et de quilles.
    Toutefois, sa mésaventure avec Matthew gardait des effets plus durables que toutes les admonestations de ses confesseurs. L'homme ne devenait pas vertueux, mais sage, une sagesse qui ne durerait pas toute la vie sans doute, mais certainement jusqu'aux premières neiges.
    —    Marie, j'ai

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