Fausta Vaincue
cadavres, elle se leva lentement ; sous l’éclatant soleil de cette matinée, toute droite dans son lourd et somptueux costume, elle réalisait une apparition de rêve : ce n’était plus une femme, ni même la souveraine aux attitudes d’irrésistible autorité ; elle incarnait la Puissance dans ce qu’elle a d’inhumain, dans sa synthèse délivrée de tous les sentiments qui assiègent les hommes, elle représentait ici la Fatalité antique, statue sans âme, essence de pouvoir… D’une voix où il n’y avait ni pitié, ni colère, ni agitation, elle prononça :
– Prions pour les âmes de ces deux malheureux, et demandons au Très-Haut de pardonner à la trahison du cardinal Farnèse, mais aussi de frapper les traîtres comme celui-ci vient d’être frappé. Ainsi périront tous ceux qui…
Elle s’arrêta brusquement. Ses lèvres devinrent blanches. Un tressaillement de stupeur la parcourut tout entière, son regard noir, son regard stupéfié se fixa sur un point du mur d’enceinte à vingt pas devant elle, et, au fond d’elle-même, il y eut un cri de rage, de détresse et d’épouvante, un cri… un mot… un nom :
« Pardaillan !… »
Dans le même instant, Pardaillan sauta du mur ; presque aussitôt, Charles d’Angoulême sauta derrière lui… Pardaillan s’avança sur Fausta.
– Gardes ! commanda Fausta, faites saisir ces deux hommes !…
Sur un signe du cardinal Rovenni, les hallebardiers s’élancèrent. Pardaillan porta la main à la garde, de son épée.
– Il paraît, madame…
Un cri atroce l’interrompit : c’était Charles qui venait de reconnaître Violetta sur la croix et qui, fou d’horreur et de désespoir, se ruait sur l’instrument de supplice…
–… qu’à toutes nos rencontres, continuait Pardaillan sans se retourner, je suis destiné à vous prendre en flagrant délit de meurtre ! Comme dans la rue Saint-Denis, comme aux bords de la Seine, comme dans la cathédrale de Chartres, j’espère arriver à temps… Arrière, vous autres, tonna-t-il en tirant sa rapière.
– Qu’on le saisisse ! gronda Fausta.
Les hallebardiers l’entourèrent. Pardaillan avait Rovenni directement devant lui. Il tomba en garde, et il allait de la pointe de sa rapière porter quelques coups destinés à le dégager, lorsqu’il demeura immobile et stupéfait… Rovenni, au lieu de fuir, s’inclinait très bas devant lui !… Sur quelques mots brefs du cardinal, les hallebardiers reculaient !… Et Rovenni murmurait :
– Quels sont vos ordres ?… Dites vite !…
Que se passait-il ?
Il était impossible à Pardaillan de le soupçonner.
Il se passait simplement ceci : qu’au moment où Pardaillan était tombé en garde, les yeux de Rovenni s’étaient fixés sur sa main droite… et qu’à l’index de cette main brillait l’anneau d’or… l’anneau de forme spéciale… l’anneau que Sixte Quint seul pouvait lui avoir donné !…
Aux yeux de Rovenni, et presque aussitôt aux yeux de tous ceux qui entouraient Fausta, tout prêts à la trahir, Pardaillan était l’homme envoyé par le pape !… Et cet anneau, c’était celui que M. Peretti, il y avait cinq mois, lui avait donné dans le moulin de la butte Saint-Roch en reconnaissance de l’immense service que lui rendait Pardaillan.
– Vos ordres ! répéta Rovenni.
– Qu’on arrête cet homme ! rugit Fausta. Rovenni !… gardes !… Que faites-vous ?… Oh ! êtes-vous donc tous des traîtres !…
– Mes ordres ? dit Pardaillan à tout hasard ; maintenez cette femme, en attendant…
Fausta, livide, rugissante, pantelante de ce qu’elle entrevoyait, descendit de son trône et marcha sur Pardaillan ; mais dans ce moment, un chant éclata parmi les cardinaux, un chant qui la glaça d’épouvante comme le chant des suppliciés avait glacé Farnèse… Et c’était :
Domine, salvum fac
Sixtum Quintum
Pontificem summum…
Et exaudi nos in die
Qua vocaverimus te !… [7]
Fausta porta les deux mains à son front. Ses yeux lancèrent des éclairs. Un frisson convulsif l’agita… Ses propres gardes l’entouraient !… Et derrière le rempart des hallebardes, les évêques, les cardinaux entonnaient à pleine voix le chant de leur trahison !…
– Trahie !… Trahie !… murmura-t-elle d’une voix qui même dans cette seconde fatale gardait une sorte de dignité sauvage et farouche.
A ce moment, au fond du terrain de culture, une fanfare de
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