Fausta Vaincue
Paris et de Rome.
Pardaillan dîna du meilleur appétit : puis il s’alla prosaïquement coucher en refusant d’aller contempler
Il
coloseo
au clair de lune, bien que l’hôte lui eût juré que c’était là le premier soin de tout étranger de marque débarquant à Rome.
Le chevalier dormit tout d’un trait jusqu’à huit heures du matin, s’habilla soigneusement, et après dîner s’enquit de la situation du Palais-Riant, où Fausta lui avait donné rendez-vous. L’hôte lui indiqua le chemin à suivre et ajouta :
– Un monument qui a dû être bien beau dans le temps, mais qui tombe en ruines, car il a été saccagé sous le pontificat d’Alexandre VI, et à peine restauré ; depuis Lucrèce Borgia, il est inhabité.
Mais déjà Pardaillan était en route et, suivant une rue parallèle au cours du Tibre, il ne tarda pas à se trouver devant le Palais-Riant, magnifique édifice, rutilant et sombre comme un caprice de Lucrèce Borgia, orné de statues et de bas-reliefs qui en faisaient la splendeur, et couvert de poussière, les fenêtres fermées, le grand atrium extérieur ravagé, la porte murée, ce qui lui donnait cette sombre physionomie dont nous parlons.
– Il me semble, murmura Pardaillan, que c’est ici la répétition du Palais de la Cité… Pourvu qu’il n’y ait pas de salle des supplices, ni nasse de fer !…
Et il s’approcha curieusement du vieux palais que nous avons eu occasion de décrire avec soin dans un de nos précédents ouvrages. Comme il était là, assez embarrassé d’y entrer, puisque la porte était murée et qu’il n’avait même pas la ressource d’escalader les fenêtres condamnées, un homme passa près de lui, le toucha légèrement du coude, et murmura :
– Suivez-moi…
– Il paraît que j’étais attendu, murmura Pardaillan qui se mit à suivre sans faire d’observation, mais qui, en même temps, s’assura rapidement que sa dague était à sa place, à sa ceinture.
L’homme enfila une sorte d’étroit passage qui limitait le Palais-Riant sur son côté droit et aboutissait au Tibre. Vers le milieu du passage il disparut par une porte basse, et Pardaillan entra derrière lui. L’un marchant devant et l’autre suivant, toujours silencieux, ils longèrent un long couloir et débouchèrent enfin dans un immense vestibule qui évidemment occupait tout le rez-de-chaussée de la façade. Jadis, tout ce que Rome comptait de grands seigneurs, de princes ecclésiastiques, de poètes, de peintres, d’artistes en renom s’était promené sur la mosaïque de ce vestibule en attendant d’être reçu par Lucrèce Borgia. Maintenant, ce n’était qu’un désert de marbre, peuplé par des statues impassibles qui toutes avaient subi quelque convulsion populaire, car à l’une il manquait un bras, à l’autre la tête. Les fenêtres étaient condamnées, la grande porte murée. Des lampadaires tordus, des corniches ruinées, des colonnes jetées bas, les murs noircis par des traces de flammes semblaient indiquer que quelque drame avait dû dérouler là ses sombres péripéties.
Pardaillan à la suite de son conducteur franchit encore une salle qui était en aussi triste état puis, par une porte de bronze, pénétra dans une partie du palais où se retrouvaient toute la magnificence et tout le faste grandiose dont la princesse Fausta aimait à s’entourer. Il s’arrêta et s’aperçut soudain que son conducteur avait disparu. Il attendit donc, les yeux fixés sur un tableau de Raphaël d’Urbin qui représentait une jeune femme d’une éclatante beauté, à l’œil noir, au sourire impérieux, aux formes à la fois délicates et empreintes de majesté : c’était un portrait de Lucrèce Borgia… l’aïeule de Fausta. Comme il rêvait devant l’image de cette fille de pape, dont la destinée fulgurante avait ébloui le monde, il entendit derrière lui un léger bruit, se retourna, et, dans l’encadrement de velours d’une portière, il vit une jeune femme qui le contemplait ; et c’était la même beauté fatale, les mêmes yeux de mystère que la femme du tableau… Pardaillan reconnut la descendante de Lucrèce et s’inclina profondément.
– Vous regardiez mon aïeule ? dit Fausta en s’avançant alors sans autre bienvenue qu’une légère inclination de la tête. Par d’autres voies que les miennes, par des moyens plus sûrs, elle a pu pendant quelques années réaliser mon rêve. Par son frère César, elle a
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