Fausta Vaincue
deux, faisant là un crochet conseillé par le caprice, battant l’estrade et faisant en somme l’école buissonnière, Pardaillan avait gagné Lyon, descendu le Rhône et suivi les bords de la Méditerranée, éternel enchantement du voyageur, jusqu’à Livourne, où il s’enfonça dans les terres pour gagner Florence.
Le lendemain de son arrivée, il se rendit au palais que lui avait indiqué Fausta. Il trouva à la porte d’entrée une sorte de suisse qui lui demanda s’il était bien l’illustre seigneur de Pardaillan. Le chevalier, ayant déjà vu la belle Italie, ne s’étonna pas de l’excessive politesse du serviteur et répondit qu’il avait en effet l’honneur d’être le sire de Pardaillan, bien qu’il ignorât qu’il fût illustre. Ce à quoi le brave gardien du palais ne répliqua rien ; mais, allant à un meuble qu’il ouvrit, il sortit d’un tiroir une missive cachetée, que le chevalier ouvrit séance tenante. Elle ne contenait que ces quatre mots :
« Rome, Palais-Riant. – Fausta. »
– Ainsi, dit Pardaillan, la signora Fausta m’attend à Rome ?
Mais le suisse protesta qu’il était simplement chargé de remettre cette missive à l’illustrissime seigneur de Pardaillan et qu’il n’en dirait pas un iota de plus, quand bien même Son Excellence daignerait lui ouvrir le ventre pour en savoir plus long.
Pardaillan qui, comme nous venons de l’expliquer, était en veine d’école buissonnière, fut d’ailleurs enchanté d’avoir à prolonger son voyage ; au fond, il n’était pas fâché de reculer l’entrevue avec Fausta. Le lecteur logique pourra nous faire observer que s’il déplaisait à Pardaillan de se rencontrer avec Fausta, il n’avait qu’à ne pas y aller. Ce raisonnement est si limpide et si naturel qu’il se présenta de lui-même à l’esprit de Pardaillan.
– Que diable suis-je venu faire en Italie ? grommelait-il le lendemain en chevauchant le long d’une jolie route embaumée par les premières fleurs et inondée par les rayons du soleil de mai. Quoi ! Parce que j’ai eu une minute d’émotion et de pitié lorsque j’ai vu le courage désespéré de cette femme, lorsque, enlevant son cheval d’un coup d’éperon, elle sauta par-dessus le parapet du pont de Blois, je me crois forcé de me trouver à son rendez-vous ? Eh !… qui m’empêche de tourner bride et de reprendre le chemin d’Orléans où je serais si bien, l’hiver, les pieds au feu, l’automne à chasser le cerf, et l’été à écrire mes mémoires à l’ombre des grands tilleuls : Tiens ! Pourquoi n’écrirais-je pas mes mémoires tout comme monsieur de Thou, le seigneur de Brantôme et le sire du Bartas, et tant d’autres ?
Pardaillan se mit à rire à l’idée d’écrire ses mémoires. Il devait pourtant les écrire, pour le plus grand plaisir des lecteurs qui auraient la pensée de les feuilleter, et pour la plus grande joie de l’auteur de ce récit, qui devait y trouver de précieuses pages à démarquer. Car il faut démarquer. Quand on démarque, on cesse d’être un plagiaire : cent auteurs vous l’affirmeront comme nous.
Le chevalier, donc, tout en bavardant avec lui-même, tout en s’affirmant qu’il était bien libre, après tout, de faire décrire à sa monture une demi-volte qui lui tournerait le nez vers la France, n’en continuait pas moins à trotter dans la direction de Rome.
Pardaillan fit son entrée dans Rome par une magnifique soirée du 14 mai de l’an 1589, vers cette heure ineffable où les rayons du soleil couchant incendient d’une gloire triomphale la cité des souvenirs héroïques, la ville aux ruines séculaires, heure mélancolique où tintent les angélus de mille clochers, où l’Aventin, le Cælius et l’Esquilin semblent rayonner au-dessus des lacs d’ombre qui s’étendent sur les vallées.
Pardaillan prit gîte à l’auberge du
Franc-Parisien,
mots qui, écrits en français sur l’enseigne, lui parurent de bon augure et l’invitèrent à mettre pied à terre devant l’hôtellerie d’accorte apparence. L’hôte, en effet, était Français et demi, c’est-à-dire Parisien de la rue Montmartre ; il était établi depuis quinze ans à Rome où il faisait tout doucement fortune en faisant manger aux Romains de la cuisine parisienne, et aux Français qui tombaient chez lui de la cuisine romaine, ce qui, prétendait-il, devait infailliblement amener tôt ou tard une alliance entre les peuples de
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