Fausta Vaincue
front en murmurant :
– Il ne manque donc plus rien au bonheur de mon noble époux et au mien, puisque vous voici !…
Pardaillan, plus ému et plus étonné au fond qu’il n’eût voulu l’être de cette explosion de gratitude et de fraternelle amitié, embrassa sur les deux joues la gracieuse jeune femme. Au même instant apparut Marie Touchet, la mère de Charles, et comme Pardaillan s’inclinait profondément, elle fit trois pas rapides, le saisit dans ses bras, et, les larmes aux yeux, l’étreignit sur son cœur en disant :
– Je suis heureuse, mon cher fils, heureuse de pouvoir vous dire tout haut ce que je dis tout bas à Dieu dans mes prières de chaque soir : « Que le Seigneur protège le dernier représentant de la vieille chevalerie !… »
Et se tournant vers un autre portrait de Charles IX, plus petit que celui du salon :
– Hélas ! ajouta-t-elle avec un soupir, il n’est pas là pour remercier le sauveur de son enfant. Mais je vous aimerai pour deux, chevalier, et ce double fardeau de reconnaissance ne sera pas de trop pour mon cœur…
– Madame, dit le chevalier, en cherchant à dissimuler la joie puissante que lui procurait cette adorable minute, Madame, je me trouve royalement récompensé puisque je vois un rayon de bonheur dans vos yeux et un sourire sur vos lèvres…
Après les premiers moments d’effusion, ces quatre personnages s’assirent, et Pardaillan, accablé de questions, dut raconter ce qui lui était arrivé depuis la scène de l’abbaye de Montmartre. Il le fit avec cette simplicité qui donnait un si grand prix à ses récits, raconta la mort de Guise, celle de Maurevert, et enfin celle de Catherine de Médicis, mais ne dit pas un mot de Fausta.
Tout en parlant, il surveillait du coin de l’œil, tantôt Violetta, tantôt le jeune duc, tantôt Marie Touchet, et il put se convaincre que s’il y avait trois êtres heureux dans le monde, ces trois êtres étaient réunis sous ses yeux.
« Pourvu que cela dure ! » songea-t-il, avec une sorte de prescience divinatoire des aventures où l’inquiétude et l’ambition devaient plus tard jeter le fils de Charles IX.
– Ainsi, dit Marie Touchet, la vieille reine est morte…
– Et le duc de Guise a succombé sous votre épée, ajouta Charles.
– Deux des ennemis que vous aviez maudits fit gravement Pardaillan. Quant au troisième, quant au roi Henri de Valois, il est bien bas, et je crois que si vous vouliez tirer de lui une vengeance, vous n’arriveriez pas à temps, car il est escorté d’une ombre qui ne le quitte pas, d’un spectre qui guette le moment de lui poser sur l’épaule sa main de fer, et de l’entraîner avec lui dans le néant… Guise est mort, la vieille reine est morte, et le roi marche à la mort… Ainsi, votre triple besogne se trouve accomplie sans que vous ayez eu à vous en mêler, et il ne vous reste qu’à garder votre bonheur contre les embûches de la vie et les traquenards de l’ambition…
Le jeune duc écouta ces paroles prophétiques d’un air pensif, et Violetta se serrant doucement contre lui, lui jeta un regard si tendre, si timide et si inquiet que Charles s’écria :
– Oui, oui, chevalier… et vous, ma douce amie… et vous, ma mère… c’est dans notre mutuelle affection et là seulement que nous devons chercher le bonheur de la vie !…
Il s’ensuivit une soirée charmante. Il y eut dîner de gala auquel furent invités les notables seigneurs d’Orléans. A table, Pardaillan, malgré sa résistance, fut placé dans le fauteuil du maître ; et comme s’il eût été le maître, l’écuyer tranchant, le majordome et le maître d’hôtel se tinrent constamment derrière lui. A l’attitude des convives, à la curiosité passionnée qui bouleversait la maison depuis les invités jusqu’au dernier marmiton de cuisine, on eût pu croire que le réfectoire de l’hôtel d’Angoulême avait ce soir-là l’honneur d’héberger un empereur.
– Vous voyez que vous êtes connu ici, lui dit tout bas Marie Touchet. Dans cet hôtel et chez tous ceux qui nous connaissent, on parle de vous comme on parlerait d’un héros de la Table Ronde. Dans les veillées d’hiver, on me prie de raconter vos exploits, depuis le jour où vous sauvâtes la reine Jeanne d’Albret, jusqu’au jour où vous avez arraché à la mort la fille du prince Farnèse, ma chère petite Violetta. Et quand je parle de vous, chevalier, on m’écoute comme jadis
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