Fausta Vaincue
rire strident. Alors la raison rentra à flots pressés dans son esprit, et, avec la raison, la terreur. Cet éclat de rire dans cette fumée, alors qu’au loin, dans le palais, ronflaient les flammes du vaste incendie, avait on ne sait quoi d’affreux et d’extrahumain qui distillait de l’épouvante…
Pardaillan se souleva d’un bond. Il entendit les sifflements de l’incendie, les craquements des poutres, le grondement des rumeurs lointaines ; et dans le palais même, sous ces bruits énormes, le silence de toute créature vivante…
La hideuse vérité se présenta à lui tout entière… Il était enfermé avec Fausta dans le Palais-Riant ! Et le palais brûlait !… il était seul avec elle ! Et ils allaient mourir !…
Et dans cette minute d’horreur, alors que déjà il suffoquait, alors que des serpents écarlates commençaient à se rouler autour de lui, alors que le feu l’enveloppait, ce fut une pensée de pitié, une pensée de pardon et de dévouement qui se fit jour en lui et éclata dans ce cri :
– Fausta !… Fausta !…
La sauver !… Sauver la vierge qui avait voulu sa mort, qui le tuait, mais qui s’était donnée à lui !…
– Fausta !… Fausta !…
Ce même éclat de rire infernal lui répondit… et tout à coup il la vit !… il la vit dans la fumée, au fond d’une vapeur rousse et noire, à peine visible, pareille à un être de mystère qui, sortie du mystère, rentre dans le mystère ; il la vit comme dans un éloignement, avec des lignes imprécises, un visage à peine deviné où flamboyaient les deux diamants noirs, les deux diamants funèbres de ses yeux, fantôme qui s’éteint, magicienne qui rentre dans la nuée qui l’a vomie, créature indéchiffrable, enveloppée d’énigme… Pardaillan s’avança, titubant, à demi aveuglé, et râla :
– Viens !… Fuyons !… Oh ! je te sauverai !… Tu vivras !…
Et du nuage de fumée, en même temps que l’éclair de ses yeux, sortit la voix de Fausta, la voix calme, glaciale, impérieuse, douce et rude, la voix souveraine :
– Je vivrai !… Oui, Pardaillan !… Mais toi, tu meurs !… Vaincue tout à l’heure encore une dernière fois, je prends ma revanche, et c’est mon baiser d’amour qui t’assassine, puisque tu es invulnérable à l’acier !… Adieu, Pardaillan ! Commence à mourir ! Et que ta dernière pensée soit celle-ci : « C’est Fausta qui me tue ! Je meurs parce que Fausta a voulu ma mort !… »
A mesure qu’elle parlait, Fausta semblait s’éloigner, se confondre avec la fumée, se fondre dans le nuage, et sa voix elle-même s’affaiblissait… Au dernier mot, elle disparut tout à fait…
Haletant, hors de lui, fou furieux devant cette trahison suprême, Pardaillan s’élança la dague au poing… et alla se heurter contre une porte de fer que dissimulait une tenture… Sans aucun doute, la terrible vierge qui se vengeait si effroyablement du refus de Pardaillan avait disparu derrière cette porte de fer ! Sans aucun doute, elle s’était assuré le moyen de se sauver !… Elle était en sûreté !…
Pardaillan comprit qu’il allait mourir seul !… Mourir, oui ! Car la fumée le suffoquait, les flammes rampaient sous la porte par laquelle il était entré, et toute issue lui était fermée, puisqu’une porte de fer le séparait du chemin qu’avait pris Fausta. Pardaillan marcha résolument vers les flammes. Au moment où il allait atteindre la porte par où il avait pénétré dans cette chambre, cette porte s’écroula… Il recula…
Devant lui, c’était le brasier immense… la fournaise rouge d’un escalier qui brûlait… escalier de chêne dont chaque marche flambait, c’était l’horreur inouïe des crépitements secs, des détonations sourdes, des sifflements aigus et des ronflements graves, et sur cette vision d’enfer, cet homme qui regardait… et pensait encore ! qui ne renonçait pas à la vie ! qui calculait les aspirations de sa poitrine pour se ménager un peu d’air respirable ! qui étudiait la chance infinitésimale de vivre avec un sublime entêtement !…
A cet instant, c’est-à-dire moins de dix secondes après la disparition de Fausta, à cet instant où Pardaillan comprenait qu’il allait sombrer, que sa gorge n’avait plus d’air, qu’il étouffait, à cet instant, disons-nous, un bruit effroyable domina tous les tumultes, dans ce choc énorme de bruits qu’était l’incendie…
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