Fausta Vaincue
mit à monter. L’escalier conduisait aux combles de l’hôtel de Cheverni.
Là, dans un de ces combles aménagés en chambre, assis à une table couverte de papiers, la tête dans les deux mains, rêvait ou lisait un personnage que nous avons entrevu au début de cette histoire : c’était l’astrologue Ruggieri, alors bien vieux, bien fatigué, mais travaillant toujours à son rêve, courant toujours après la chimère, l’insaisissable chimère, qui fuyait dès qu’il croyait la tenir enfin… La pierre philosophale !… L’élixir de vie éternelle !…
Ruggieri, ayant levé la tête, vit Catherine assise devant lui et sourit. Il aimait la vieille reine. Ces deux existences étaient liées. L’une, reine de nom et de fait, maîtresse dans un royaume qu’elle gouvernait sous le nom de son fils ; l’autre, roi des songes prestigieux, si loin et si près l’un de l’autre, si dissemblables et si pareils, tous deux assoiffés d’impossible.
– Eh bien, Majesté, fit Ruggieri en repoussant les papiers qu’il avait devant lui, vous avez vu Loignes ? Guéri, bien guéri, tel qu’il était aux jours où il donnait des rendez-vous à Mme la duchesse de Guise, mais avec quelque chose de nouveau dans son cœur : une belle haine bien féroce contre le duc… En vérité, ajouta-t-il plus lentement, si Guise doit mourir bientôt, ce ne peut être que de la main de Loignes…
– Je ne suis venue te parler ni de Loignes ni de Guise, dit sourdement la vieille reine. Ruggieri, on veut tuer le roi !…
– Et cela vous étonne, madame ?…
– On veut me tuer mon fils, reprit la reine en frissonnant. Pourquoi ne cherche-t-on pas à me percer le cœur ?… Tu le sais… mon fils, c’est ma vie. J’ai pleuré, j’ai versé plus de larmes que la dernière des malheureuses dans sa chaumière. Mais j’avais une consolation. Si on me tue mon Henri, qu’est-ce que je vais devenir, moi ?
Ruggieri s’était levé et se promenait, la tête penchée.
– Les misérables ! continua Catherine avec un accent sauvage. Ils n’ont jusqu’ici frappé que la reine. S’ils osent s’en prendre à la mère, je veux que dans les siècles on se rappelle avec épouvante la vengeance de Catherine, mère d’Henri !… Ruggieri, ce sont les Guises, vois-tu. Quel cauchemar ! Lorraine et Béarn sont deux fantômes qui assiègent mes derniers ans… Malheureuse ! Jusqu’ici, du moins, je n’avais qu’un trône à défendre, et maintenant, c’est la vie de mon fils qui est menacée !…
– Je ne crois pas, dit Ruggieri, que le roi de Navarre veuille recourir à de tels moyens : il a la partie trop belle !…
– Ce sont les Guises, te dis-je… J’en suis sûre !… Ils ont armé contre Henri le bras d’un moine…
– Un moine ?…
– Oui. Un Jacobin. Le moine devait frapper aujourd’hui. Il n’a pas osé peut-être. Mais une autre fois, il osera ! Et si ce n’est lui, ce sera quelque autre… Mais ce n’est pas cela qui m’épouvante le plus… Ruggieri, ce moine, ce Jacobin porte un nom qui me ramène au passé… nom que je crois avoir entendu et prononcé moi-même… Où ?… Quand ?… Ta mémoire, ton admirable et féconde mémoire va m’aider.
Ruggieri, étonné, considérait la vieille reine qui froissait dans ses mains pâles la lettre dénonciatrice.
– Ce moine, reprit-elle brusquement, s’appelle Jacques Clément… Ce nom, Ruggieri, ce nom ne te dit-il rien ?…
L’astrologue tressaillit. Son visage devint plus pâle. Ses yeux lancèrent un éclair qui s’éteignit aussitôt. Il se rapprocha de la reine et lui tendit la main, se pencha sur elle, et d’une voix où il y avait de la terreur et de la pitié :
– Vous dites que cet homme qui veut tuer votre fils s’appelle Jacques Clément ?
– Oui, balbutia Catherine, c’est bien là son nom…
Ruggieri lâcha la main de la reine, se recula, se croisa les bras, et murmura sourdement :
– En ce cas, madame, vous avez raison d’avoir peur !… Oui, l’heure est venue pour vous de trembler, et pour le roi de se garder !… Tremblez, Catherine ! Organisez autour de vous-même et de votre fils une incessante surveillance ! Faites goûter devant vous le vin, l’eau, le pain, le fruit qui vous sont destinés, à vous ou au roi ! Faites surveiller toute personne qui vous approchera, vous ou le roi ! ou plutôt, que nul ne vous approche, si ce n’est vos plus fidèles serviteurs ! Et
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